#
Procédure prud'homale et Covid-19

Les occasions de sortir nos robes noires – certes peu adaptées aux températures printanières, voire estivales – se font rares en ces temps de crise sanitaire. Il ne faudrait cependant pas que cela dure et se généralise au-delà. Explications.

  1. La procédure sans audience proposée par certaines Cours d’appel

L’article 8 de l’ordonnance n°2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété prévoit que lorsque la représentation est obligatoire ou que les parties sont assistées ou représentées par un avocat, le juge ou le président de la formation de jugement peut décider que la procédure se déroule selon la procédure sans audience. Il en informe les parties par tout moyen. A l’exception des procédures en référé, des procédures accélérées au fond et des procédures dans lesquelles le juge doit statuer dans un délai déterminé, les parties disposent d’un délai de quinze jours pour s’opposer à la procédure sans audience. A défaut d’opposition, la procédure est exclusivement écrite. La communication entre les parties est faite par notification entre avocats. Il en est justifié dans les délais impartis par le juge.

En pratique, dans nombre de contentieux en droit du travail et sécurité sociale qui auraient dû être plaidés au cours des dernières semaines ou des semaines à venir devant les Cours d’appel, mais pas uniquement en cette matière, les magistrats ont proposé aux conseils des parties de recourir à cette procédure dite « sans audience ».

Les dossiers au format papier, et éventuellement électronique, ont alors été déposés aux greffes des juridictions et mis à dispositions des mêmes magistrats pour qu’ils puissent rendre leur décision sans autre explication que les écritures et pièces versées aux débats.

Si cette possibilité est présentée comme un avantage non négligeable permettant l’aboutissement de procédures qui ont, pour certaines, déjà duré plusieurs années, elle remet cependant en cause la règle traditionnelle de l’oralité en matière prud’homale suivant des réformes successives des dernières années qui ont renforcé le rôle de l’écrit. Rappelons que de nombreuses décisions de Cour d’Appel ont débouté des demandes qui n’étaient pas soutenues oralement en raison précisément de l’importance de l’oralité.

De plus, lorsque les écritures ont été préparées en amont de la crise, donc dans l’attente d’une plaidoirie, il n’y a plus de possibilité pour les parties d’adapter à l’absence d’audience leurs explications et d’insister sur des pièces référencées dans les écritures mais dont l’importance devait être mise en exergue.

On notera cependant que c’est l’effet d’une possibilité offerte aux parties et qui peut être refusée tant par l’employeur que par le salarié, l’un ne pouvant imposer à l’autre la procédure sans audience. En effet, certaines affaires nécessitent plus que d’autres les explications détaillées des avocats au cours de l’audience.

En outre, ce dispositif n’est en principe pas appelé à s’inscrire dans la durée, même s’il pourrait séduire certaines Cours d’appel devant lesquelles le temps de parole des parties était déjà très sensiblement écourté.

L’ordonnance du 25 mars 2020 précise ainsi que « le présent article s’applique aux affaires dans lesquelles la mise en délibéré de l’affaire est annoncée pendant la période mentionnée à l’article 1er. » c’est-à-dire « pendant la période comprise entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 susvisée. »

Or, conformément à la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, celui-ci est prorogé jusqu’au 10 juillet 2020.

En conséquence, le recours à la procédure sans audience sera possible, à tout le moins, pour les affaires dont la mise en délibéré est fixée jusqu’au 10 août 2020.

Il conviendra donc, passés cette date et l’Etat d’urgence sanitaire, d’être vigilant afin que cette pratique exceptionnelle cesse au risque de voir se généraliser le dépôt des dossiers sans plaidoiries.

2La suppression de l’audience de conciliation

En application de l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020 modifiant l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 évoquée précédemment.

« Lorsque, trois mois après la saisine du conseil de prud’hommes, l’audience du bureau de conciliation et d’orientation n’a pas eu lieu ou le procès-verbal prévu à l’article R. 1454-10 du code du travail n’a pas été établi et la décision sur le fondement de l’article R. 1454-14 du même code n’a pas été prise, l’affaire est, en l’absence d’opposition du demandeur, renvoyée devant le bureau de jugement approprié au règlement de l’affaire à une date que le greffe indique aux parties par tout moyen. »

Ce texte constitue désormais l’article 11-3 de l’ordonnance n°2020-304 précitée.

On observera en premier lieu que si la suppression de la conciliation n’est applicable que jusqu’au 10 août 2020, il n’est pas limité aux saisines présentées devant les Conseils de Prud’hommes pendant les dernières semaines ayant précédé cette crise ou durant celle-ci compte tenu des termes généraux du texte qui ne vise aucune date pour la saisine.

Le texte ne précise pas davantage si le renvoi de l’affaire en bureau de jugement, sans préalable de conciliation, peut être demandé par les salariés à l’origine de la saisine ou s’il est prononcé (d’office) par les juridictions.

Rien n’indique par ailleurs :

  • selon quelles modalités les demandeurs sont interrogés ;
  • quel délai leur est imparti pour répondre ;
  • si le défendeur est, à tout le moins, avisé de ce que le demandeur s’est vu     proposer cette possibilité ;
  • si le Conseil peut refuser, et sur quel motif, de faire droit à une telle demande.

Difficile, dans ces conditions et faute de précisions supplémentaires, de mesurer l’importance des conséquences de cet aménagement procédural, en principe temporaire, sur le déroulement du procès prud’homal d’autant que dans certains conseils de prud’hommes le délai peut être de 9 à 12 mois entre la saisine et l’audience de conciliation.

En effet, dans l’hypothèse où le renvoi en bureau de jugement pourrait, sur le fondement de ce texte, être sollicité par l’une ou l’autre des parties (mais le serait plus certainement par le demandeur), au surplus si la saisine est ancienne, les demandes pourraient affluer par centaines devant les Conseils les plus encombrés, ce qui poserait des questions complexes de logistique pour les juridictions qui devront, en toute hypothèse, prendre des mesures supplétives de la conciliation par la fixation des dates pour échanger les pièces et les conclusions.

Le cabinet La Garanderie Avocats sera particulièrement attentif au fonctionnement de ces dispositions et à leur disparation dès que la crise sanitaire sera terminée officiellement et juridiquement.


le 04/06/2020

Articles du même auteur

Libertés & Droits Humains
Est-il possible de signer une rupture conventionnelle par signature électronique ?
Le recours à la signature électronique, dès lors qu’elle émane d’un organisme fiable et certifié (Docusign, Eurecia, Universign…), est parfaitement admis depuis 2016 sur tous les actes...
[Lire la suite]
Publié le 13/10/2021
Comment les salariés en arrêt pour garde d’enfant basculeront-ils vers l’activité partielle au 1er mai ?
La deuxième Loi de Finances rectificative pour 2020 n° 2020-473 parue au Journal Officiel du 26 avril 2020 stipule qu’à partir du 1er mai, les salariés parents en arrêt de travail pour garde...
[Lire la suite]
Publié le 04/05/2020
Santé
Challenges.fr - Santé, emploi : Ces bombes à retardement de l’après-Covid pour les entreprises
Un interview à Dominique de La Garanderie Avocats dans lesechos.fr.Déconfinement: « Ce qu’attendent les salariés de leurs employeurs » Pour lire l’article, cliquez sur le...
[Lire la suite]
Publié le 29/05/2020
Libertés & Droits Humains
Fait religieux dans l’entreprise : Vers une remise en cause de la possibilité d’instituer une obligation de neutralité ?
Le récent avis du Comité des droits de l’Homme de l’ONU, dénonçant la solution de la Cour de Cassation dans l’affaire Baby-Loup, pourrait-il faire infléchir la jurisprudence naissante en...
[Lire la suite]
Publié le 27/09/2018

Nos experts :

Nos domaine d'Expertise

Dialogue social & relations collectives
Rémunération & Avantage sociaux
Santé

Organisation & bien-être au travail
Libertés & droits humains

Ethique & compliance