Pour rappel, le préjudice nécessaire se définit comme celui qui reconnait un droit automatique à indemnisation dès lors qu’il y a un manquement à une obligation : le demandeur qui invoque le manquement n’a donc pas à prouver que celui-ci a eu des conséquences dommageables pour lui mais la simple démonstration de la réalité du manquement entraine un droit automatique à réparation.
Par un arrêt fondamental du 13 avril 2016 (n°14-28.293) la chambre sociale de la Cour de cassation a abandonné la notion d’obligation de résultat à l’égard de l’obligation de sécurité qui pèse sur l’employeur et a retenu comme principe général que le manquement de l’employeur, pour ouvrir droit à réparation, doit être subordonné à l’existence de la démonstration par le salarié d’un préjudice dont l’appréciation relève des juges du fond.
Plusieurs exceptions à ce principe ont cependant été ultérieurement posées par la Cour de cassation, notamment sous l’impulsion des juridictions européennes.
C’est ainsi que, sur le fondement de la Directive Européenne 2003/88/CE du 4 novembre 2003, d’effet direct, elle a constaté que le salarié pouvait automatiquement bénéficier d’une indemnisation pour les manquements en lien avec la durée hebdomadaire maximale de 48 heures (Cass. soc., 26 janv. 2022, n° 20-21.636), la durée quotidienne maximale de 10 heures (Cass. soc., 11 mai 2023, n° 21-22.281), la durée du travail de nuit (Cass. soc., 27 sept. 2023, n° 21-24.782) et les temps de repos journaliers (Cass. Soc., 7 février 2024, n° 21-22.809) sans avoir besoin de démontrer l’existence d’un préjudice spécifique.
Ce mouvement se confirme dans deux décisions du 4 septembre 2024 dans lesquelles la Cour de cassation estime que le fait de demander à une salariée en congé maternité de travailler lui cause nécessairement un préjudice (n°22-16.129), tout comme le fait de faire travailler un salarié pendant un arrêt maladie et de le priver du temps de pause quotidien (n°23-15.944). Pour autant dans la première espèce, elle considère que le fait de pas avoir respecté les règles relatives aux visites médicales régulières et à la visite médicale après la fin du congé maternité ne crée pas un préjudice nécessaire car le législateur n’a pas conféré « au salarié de droits subjectifs, clairs, précis et inconditionnels en matière de suivi médical » (n°22-16.129).
Dès lors, comment faire le tri entre les règles dont le manquement crée un préjudice nécessaire au salarié et celles pour lesquelles le salarié doit démontrer que le non-respect de la règle lui a créé un préjudice quantifiable ?
C’est dans le rapport du conseiller rapporteur que l’on peut identifier la distinction opérée par la Cour de cassation puisque celui-ci rappelle que la reconnaissance d’un préjudice nécessaire est circonscrite aux hypothèses où la norme de droit européen ou international dont il convient d’assurer l’effectivité est d’effet direct en droit interne, c’est-à-dire lorsque la disposition européenne ou internationale est suffisamment claire, précise et inconditionnelle pour que l'on puisse identifier qu'elle crée des droits subjectifs au profit des particuliers dont ils peuvent se prévaloir devant le juge pour demander la réparation du préjudice causé par leur violation.
Pour la Cour de cassation, ne pas prononcer de sanction à l’encontre du non-respect de la norme européenne d’effet direct revient à la priver de toute effectivité.
En revanche, lorsque la norme européenne n’est pas d’effet direct, le salarié qui en invoque le manquement doit démontrer l’existence d’un préjudice : l’article 14 de la directive 89/391/CE du 12 juin 1989 renvoyant aux législations et/ ou pratiques nationales le soin de fixer les mesures pour assurer la surveillance appropriée de la santé des travailleurs en fonction des risques concernant leur sécurité et leur santé au travail, le non-respect des règles internes en matière de suivi médical ne crée pas de préjudice automatique.
Si ces arrêts ne constituent donc pas un abandon total de la jurisprudence du 13 avril 2016, ils confirment en revanche le soin que met la Cour de cassation à donner plein effet aux normes européennes auxquelles elle se réfère directement, comme elle l’a fait en matière d’acquisition des congés payés pendant un arrêt maladie...




