# Libertés & Droits Humains
Port de la barbe en entreprise : Effet de mode ou signe religieux ? Attention à la discrimination !

Réintroduite par les hipsters, portée par les acteurs, plébiscitée par les créateurs de mode, la barbe est de retour sous toutes les formes : barbe de trois jours, barbe très travaillée ou déstructurée.

Elle peut aussi être un signe religieux.

Par un arrêt du 8 juillet 2020 (n°18-23.743) ayant fait l’objet d’une très large publication (bulletin des arrêts, bulletin d’information, rapport annuel et site internet de la Cour de Cassation), la Chambre sociale a eu l’occasion de poursuivre sa construction jurisprudentielle sur la discrimination fondée sur les convictions religieuses à l’occasion d’une affaire concernant le port d’une barbe que l’employeur considérait être connotée au plan religieux.

Cette affaire concerne la société Risk & Co qui assure des prestations de services dans le domaine de la sécurité et de la défense auprès de gouvernements et organisations gouvernementales ou non gouvernementales et d’entreprises privées.

Elle a licencié pour faute grave un consultant sûreté dont l’affectation au Yémen était envisagée en raison de son « refus de revenir à une barbe d’apparence plus neutre et comparable à celle qu’il portait au moment de son embauche ».

Pour tenter d’écarter l’existence d’une discrimination liée à la religion, la société a fait valoir une exigence liée à la sécurité.

Elle a en effet plaidé que l’intéressé étant affecté régulièrement dans des zones potentiellement dangereuses et politiquement instables, son apparence pouvant mettre sa sécurité en péril ainsi que celles des personnes qu’il devait accompagner.

Cette argumentation a été écartée.

La nullité du licenciement pour cause de discrimination a été prononcée et la réintégration ordonnée.

La Cour de cassation rappelle tout d’abord, sur le fondement des articles L.1121-1, L.1132-1 et L.1133-1 du Code du travail issus de la transposition en droit interne de la Directive européenne sur la non-discrimination, que « les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché ».

Elle confirme que « l’employeur peut prévoir dans le règlement intérieur de l’entreprise ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur […] une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette clause générale et indifférenciée n’est appliquée qu’aux salariés se trouvant en contact avec des clients ».

Elle précise également, en référence à la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne, que la notion d’exigence professionnelle essentielle et déterminante retenue par la directive précitée « renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause. Elle ne saurait, en revanche, couvrir des considérations, telles que la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers du client ».

Ainsi, la Haute Juridiction valide le raisonnement de la Cour d’appel qui a retenu que :

  • les demandes d’un client relatives au port d’une barbe pouvant être connotée de façon religieuse ne sauraient, par elles-mêmes, être considérées comme une exigence professionnelle et déterminante au sens de la directive n°2000/78/CE ;
  • l’objectif légitime de sécurité du personnel et des clients de l’entreprise peut justifier, en application de ces mêmes dispositions, des restrictions aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives et, par suite, permet à l’employeur d’imposer aux salariés une apparence neutre lorsque celle-ci est rendue nécessaire afin de prévenir un danger objectif.

En l’espèce, l’employeur estimait que la façon dont le salarié portait la barbe s’apparentait à une « provocation politique et religieuse » mais sans apporter ni la justification objective de cette appréciation, ni préciser la façon de tailler la barbe qui aurait été admissible au regard des impératifs de sécurité invoqués.

En effet, si le contrat de travail précisait que « Dans l’exercice de ses fonctions, Monsieur X. obéit aux lois et règlements des pays dans lesquels il est amené à travailler ainsi qu’aux règlements intérieurs des différentes structures des clients. Il respecte les us et coutumes des pays dans lesquels il se rendra », ni le règlement intérieur, ni aucune note de service interne ne précisait la nature des restrictions que l’employeur entendait imposer au salarié en raison des impératifs de sécurité.

L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles le 27 septembre 2018 est ainsi confirmé par la Cour de cassation qui conclue :

« la cour d’appel a déduit à bon droit […] que le licenciement du salarié reposait, au moins pour partie, sur le motif discriminatoire pris de ce que l’employeur considérait comme l’expression par le salarié de ses convictions politiques ou religieuses au travers du port de la barbe de sorte que le licenciement était nul en application de l’article L. 1132-4 du Code du travail ».

On retiendra ainsi, aux termes de cet arrêt, que des restrictions peuvent être apportées aux salariés en contact avec la clientèle quant au port de signe religieux, politique ou philosophique visible sur le lieu de travail à condition de pouvoir justifier d’une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle.

Il est donc important pour les entreprises de prévoir, dans le règlement intérieur ou dans une note de service, les restrictions qu’elles entendent imposer à leurs salariés en s’assurant préalablement que celles-ci sont bien justifiées et proportionnées par rapport au but recherché.

La Garanderie Avocats accompagne ses clients au plan opérationnel et juridique pour traiter au mieux ce sujet sensible.


le 25/08/2020

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