La ménopause, ce
n’est pas mon sujet !
Voilà ce que me répondait en substance un ami DRH à qui je confiais mon souhait de porter un regard de juriste en droit social sur ce thème, au pied de la journée mondiale de la ménopause, ce vendredi 18 octobre 2024.
Au vu du
nombre toujours croissant d’interventions demandées aux entreprises dans l’espace privé ces dernières années (aidants, violences conjugales, maladies,
équilibre vie pro/vie perso, garde d’enfants, …), une certaine
lassitude peut naturellement poindre à l’égard d’un tel thème.
Et pourtant, la prise en considération de la ménopause (ainsi que de la post et péri-ménopause) constitue bel et bien un outil complémentaire d’une vision performante et inclusive de l'entreprise.
C'est en effet une réalité aux incidences indéniables sur les relations professionnelles.
Une
réalité chiffrée tout
d’abord :
- 64
% des Françaises actives de 40 à 62 ans sont ménopausées ;
- 51
% des femmes estiment que la ménopause a des effets négatifs sur le
travail ;
- 21 % des collaboratrices doivent prendre plusieurs jours d’arrêt maladie en raison de la ménopause ;
- 16% des salariées ménopausées indiquent que leur productivité s’en trouve affectée ;
- 10% des femmes considèrent être freinées dans leur évolution professionnelle à cause de la ménopause.
Et des
incidences multiples pas forcément connues de tous, femmes mais hommes
également :
Ces incidences sont en effet physiques (bouffées de chaleur, troubles du sommeil, douleurs,
migraines, humeur…) et morales (inconfort, charge mentale, gêne, …) au
détriment des salariées concernées.
Aucune femme n’est
égale devant cette étape de vie qui s’invite au travail, dans la performance,
dans les relations entre collègues ou à l’égard de sa hiérarchie.
Dès lors, une entreprise peut avoir tout intérêt à accompagner ses collaboratrices de diverses façons, dans une approche gagnant/gagnant.
Fort heureusement, il y a toujours des entreprises innovantes en matière sociale, qui n’ont pas attendu cet article pour agir : Le seul mot clé « ménopause » inséré dans legifrance.gouv.fr compile immédiatement 44 accords d’entreprise, source inspirante pour les acteurs RH.
Ces
accords résultent principalement des négociations relatives à la qualité de vie
et des conditions de travail (QVCT) et à l’égalité professionnelle ou aux NAO.
Quatre chapitres
reviennent le plus régulièrement :
(1) L’information
des salariés
Plusieurs
accords tentent de lever le voile sur les difficultés liées à la ménopause afin
d’aider à mieux déceler et comprendre certaines situations et mettent en place
des mesures d’information et de sensibilisation du personnel.
C’est ainsi que l’accord de la société Souriau SAS du 10 juin 2024
relatif à « l’égalité femmes hommes, à la politique inclusion et
diversité » stipule :
« Parce que
les femmes sont concernées par des changements hormonaux importants au cours de
leur vie pouvant avoir un impact dans le cadre professionnel, les Parties
aimeraient également que soit engagée une sensibilisation sur la ménopause
auprès de l’encadrement voire plus largement, afin que les collaboratrices
soient mieux comprises par leurs collègues et puissent ainsi vivre cette
période de leur vie plus sereinement au travail »
Pour
leur part, les NAO chez BPI ont débouché le 24 janvier 2024 sur la mise en place de webinaires sur la prévention
santé évoquant « les temps forts qui jalonnent la vie des femmes/hommes
et leurs impacts sur le quotidien : retour de congé
maternité/paternité/adoption, mieux sensibiliser sur le cycle féminin (syndrome
prémenstruel, endométriose, procréation, pré-ménopause, ménopause), dont
l’objectif serait de mettre des mots sur ces maux et de rendre visible
« l’invisible qui fait mal » ».
Dernier
exemple parmi de nombreux autres, l’accord égalité professionnelle du 11
septembre 2023 chez Eurotunnel services qui prévoit, aux fins de communication
et sensibilisation :
« Des
évènements en lien avec la diversité et l’inclusion seront organisés au cours
de l’année en lien avec le service de santé au travail et le service
communication (exemples : journée des droits de la femme, journée contre
les violences faites aux femmes, journée non-discrimination, sensibilisation
ménopause, sensibilisation andropause, sensibilisation endométriose).
Une
fiche récapitulative reprenant les numéros importants sera mise à disposition
sur l’intranet de l’entreprise ».
L’information
ainsi prévue aide en effet à la prise de conscience et à une meilleure
inclusion.
(2) La politique
santé
Il est
à noter que la ménopause peut aussi être abordée par le biais de la politique
santé de l’entreprise que ce soit en matière de bilan et d’accompagnement que de
prise en charge de frais liés.
C’est
ainsi que plusieurs entités du groupe L’Oréal ont instauré un bilan conseil
prévention comme suit :
« La Direction propose à toutes les collaboratrices de 50 ans et plus (dans un premier temps) d’effectuer un bilan conseil prévention qui sera un bilan de santé avec prise de sang, marqueurs, qui les accompagnera sur les enjeux de santé qui leur sont spécifiques (ménopause, cancer, autres problématiques de santé, ...).
Ce bilan de santé préventif s’établira d’abord pour les femmes, et selon l’expérience, pourra s’étendre progressivement à toute personne au-delà de 50 ans. Ce qui va constituer une étape importante dans le pilier Santé de notre programme ALL GENERATIONS ». (Article 5 de l’accord NAO du 21 novembre 2022 du Laboratoire Sanoflore – rédaction reprise dans plusieurs accords d’entités du groupe L’Oréal).
L’accord du 22 décembre 2023
relatif à la Gestion des Emplois et des Parcours Professionnels au sein d’AXA
Assistance France stipule quant à lui que la société « s’engage à proposer
un accompagnement adapté et individualisé sur les aspects de santé et de
bien-être au travail à destination des salariés âgés. Cela inclut une attention
particulière aux besoins liés à la ménopause, à l’andropause, et à d'autres
aspects de la santé liés à l'âge. Ainsi, l’Entreprise s’engage à faire
bénéficier, à la demande du collaborateur, d’une visite annuelle à la médecine
du travail ou d’un entretien infirmier pour les collaborateurs de 57 ans et
plus, sous réserve de la législation applicable, en complément de la politique
Healthy You mise en place au sein d’AXA Partners, qui permet aux salariés de
plus de 40 ans de bénéficier d’un bilan de santé physique complet. »
Certaines entreprises font le choix d’insérer la ménopause dans la liste des pathologies permettant des aménagements individualisés, au même titre que les maladies les plus graves.
Tel est le cas de l’accord QVCT du 18 octobre 2023 de la société ADIS
qui permet des mesures de soutien et de bien-être au travail
spécifiquement adaptées aux collaboratrices concernées.
La procédure est ainsi énoncée :
« Au préalable, il est important de rappeler que les
collaborateurs n'ont pas l'obligation d’informer ADIS de la cause de leur
absence ou de la nature de leur maladie.
Ils peuvent faire valoir leur demande auprès de l’infirmier santé au
travail de l’entreprise tenu au secret professionnel qui validera, à la demande
du collaborateur, un formulaire RH confirmant qu’il remplit les conditions pour
bénéficier des mesures dédiées sans préciser le motif médical. En l’absence de
l’infirmier, la demande pourra être faite directement aux RH par le
collaborateur en indiquant simplement qu’il remplit les conditions et il pourra
transmettre le justificatif à l’infirmier santé au travail a posteriori.
Les collaborateurs peuvent également décider de transmettre directement
le certificat médical à l’adresse ressources.humaines@agipi.com. L’équipe RH est
tenue à une obligation de discrétion et informera, sauf indication contraire,
la ligne managériale uniquement d’une situation de maladie chronique
nécessitant une prise en compte. Les collaborateurs peuvent enfin également
décider d’informer directement leur responsable.
ADIS s’engage à organiser à la demande du
collaborateur un entretien avec un membre de l’équipe RH et/ou avec le
responsable du collaborateur pour proposer un soutien psychologique et
rechercher une organisation du travail qui permettent une meilleure flexibilité
horaire et organisationnelle, qui aidera ces collaborateurs à gérer leurs
symptômes. L’équipe santé-sécurité pourra également intervenir sur les demandes
d’aménagement de poste. L’appui du médecin du travail pourra également être
sollicité ».
La politique santé peut aussi conduire l’entreprise à aider financièrement la collaboratrice telle que, par exemple, « la prise en charge à 100% des traitements ménopause non pris en charge par la sécurité sociale, dans la limite de 125 €/an ». (Avenant du 28 Juin 2019 à l’accord relatif aux frais de santé du personnel BTP RMS du 5 juin 2015).
(3) L’organisation du
travail
L’organisation
du travail constitue aussi régulièrement une modalité d’accompagnement
envisagée par les partenaires sociaux.
Dans
les accords examinés, c’est le télétravail qui est essentiellement visé, par
l’octroi de jours supplémentaires.
A ce titre, l’accord télétravail de PLAN
INTERNATIONAL FRANCE du 1er septembre 2022 énonce :
« Les personnes souffrant de symptômes temporairement invalidants liés à la ménopause pourront bénéficier d’une journée supplémentaire de télétravail par semaine, en concertation avec la RRH et le·la manager. ».
L’accord collectif DCI
Environnement du 5 mai 2023 sur la santé et le bien-être des femmes instaure
ainsi :
« Les personnes souffrant de symptômes en lien avec la ménopause pourront bénéficier de deux (2) journées supplémentaires exceptionnelles de télétravail. »
Dans le même sens, l’accord QVCT de la société Sogarep en date du 24 septembre 2024 prévoit :
« Afin de
permettre aux personnes concernées de gérer au mieux les douleurs liées aux
troubles de la santé menstruelle, de la ménopause ou de l’andropause, les
personnes concernées, pouvant bénéficier du télétravail et après avoir présenté
un certificat médical, pourront bénéficier jusqu’à deux jours supplémentaires
de télétravail par mois. Ce certificat médical pourra avoir, selon le besoin
une validité d’un an. »
L’accord égalité professionnelle et QVT du 5
décembre 2023 chez France TV studio indique :
« Il pourra être octroyé des jours de
télétravail supplémentaires ponctuels pour les femmes souffrant des
manifestations invalidantes liées à la ménopause. Cette organisation de travail
sera alors établie en concertation avec le manager, en fonction des nécessités
de service.
Ces autorisations d’absence et/ou jours de
télétravail supplémentaires doivent faire l’objet d’une présentation de
justificatif et/ou d’un avis médical. »
Il est
intéressant de relever que si certains accords exigent un certificat médical,
la majorité semble privilégier la confiance entre la salariée et le management.
C’est un enjeu pour les RH en effet de trouver le bon équilibre entre facilité
de mise en place de la mesure et éventuelles rigidités ou dérives.
(4) La politique de congé
L’octroi
de congés supplémentaires est une voie souvent empruntée par les partenaires
sociaux pour accompagner les salariées affectées.
L’accord QVCT du 24 Juin 2024 au sein de
l’association les Eaux Vives met ainsi en place l’organisation suivante :
« Les personnels définis ci-avant pourront bénéficier d’un jour de congé mensuel supplémentaire afin de leur permettre de faire face plus facilement aux contraintes qu’ils/elles rencontrent durant les périodes de menstruation, de péri ménopause ou de ménopause.
Ce jour de congé mensuel supplémentaire sera fractionnable en ½ journée ou en heures.
Les personnels pourront bénéficier de ce jour de congé ou ½ journée ou heures, sur demande, le jour même.
Aucun délai de prévenance n’est imposé au regard de la nature même du congé.
Afin de garantir la confidentialité dans la prise de ce congé, les personnels devront informer dans un 1er temps leur responsable hiérarchique (par mail / appel ou sms). Cette information sera doublée le jour même par un mail au service des ressources humaines qui, naturellement, s’engage à prendre toutes précautions afin de protéger la confidentialité des informations données.
En outre, le bénéfice de ce jour de congé n’est pas soumis à la délivrance d’un certificat médical. »
L’accord égalité professionnelle signé le 26 février 2024 chez EDF Renouvelables cumule quant à lui absences et télétravail :
« Les salariés devant faire face aux contraintes individuelles qu’ils rencontrent en période de ménopause ou d’andropause pourront bénéficier de 3 jours d’absence rémunérées par an (fractionnables en demi-journées), sur présentation d’un certificat médical ou d’une attestation. Sur autorisation managériale, il est possible de bénéficier d’un jour de télétravail supplémentaire par mois sans justificatif. »
Un accord récent en matière d’égalité professionnelle chez les francas du doubs (accord du 26 juin 2024) dispose :
« Les journées d’absence pourront être prises par période de 3 jours consécutifs au maximum.
Pour
bénéficier de ces jours de congés supplémentaires, le salarié devra transmettre
au service Ressources Humaines un justificatif médical, établi par le médecin,
généraliste ou spécialiste, ou la sage-femme, justifiant la possibilité de
bénéficier du dispositif, sans précision de la pathologie. Ce justificatif
pourra être transmis une seule fois pour une période de trois ans.
Au
regard de la nature du congé, aucun délai de prévenance n’est imposé. Le
salarié devra néanmoins prévenir de son absence dès que possible afin de
garantir le bon fonctionnement du service. Afin de garantir la confidentialité
dans la prise de ce congé, le salarié souhaitant en bénéficier devra en
informer le service Ressources Humaines qui s’engage à prendre toutes les
précautions nécessaires afin de protéger la confidentialité des informations
données. L’information de l’absence sera transmise par le service des
Ressources Humaines aux responsables hiérarchiques. »
***
Les
accompagnements ainsi envisagés dans un grand nombre d’entreprises confirment
que la ménopause peut être un sujet RH tant il combine qualité de vie au
travail et performance.
La
palette de mesures exposées, évidemment non exhaustives, est large et peut
inspirer.
A l’heure
de la guerre des talents et d’une pyramide des âges vieillissante aux
conséquences multiples sur les effectifs de l’entreprise, la prise en
considération de la ménopause apparaît même relever de l’évidence.
Bertrand Merville
merville@lagaranderie.fr
[i] Etude Alan x Harris – octobre 2021