Les grandes avancées du monde du travail se sont faites grâce aux partenaires sociaux, ne renions pas aujourd’hui cette tradition éminemment française. Malaise, éruption de violence, incompréhension également dans certains cercles, la réforme des retraites est devenue le catalyseur d’une grande instabilité voire d’une fracture entre les différents corps de notre société. Habituellement neutre sur les questions de politique sociale et quoique non opposé à la réforme, c’est même Geoffroy Roux de Bézieux qui s’exprimait en faveur de plus de démocratie sociale, qui invitait à laisser aux partenaires sociaux plus de latitude sur des projets qui les touchent directement. Un message que les professionnels de la négociation sociale ne peuvent que soutenir, au regard de ce que nous vivons au quotidien.
Sans même remonter à ce que nous pouvons considérer comme le premier mouvement social français et la première pierre fondatrice de la République, les États Généraux de 1789 qui rassemblent les représentants des différents corps sociaux, la France du XXe et XXIe siècle s’est construite sur l’équilibre des partenaires sociaux.
Rappelons par exemple que les grandes avancées qui gouvernent notre quotidien sont issues de négociations sociales, souvent âpres, parfois vigoureuses, mais efficaces. L’accord sur le partage de la valeur, il y a quelques semaines, s’inscrit dans la lignée des multiples accords nationaux interprofessionnels de ces dernières années et de leurs nombreuses avancées. La retraite et la santé, qui monopolisent l’attention, sont issues pour une très large part de régimes institués par les partenaires sociaux ; la Sécurité Sociale elle-même, naturellement, mais aussi les régimes complémentaires de retraite, les régimes minimums de couverture santé et prévoyance au niveau des branches, le maintien temporaire de ces couvertures à titre gratuit pour les chômeurs… Tout cela nous le devons à ces négociateurs.Leur influence dans nos vies quotidiennes n’est plus à démontrer : la réglementation européenne qui est venue encadrer le télétravail est, dans la même veine, la formalisation réglementaire d’accords syndicaux négociés au niveau européen il y a 11 ans, à une époque où celui-ci était pourtant encore embryonnaire. La rupture conventionnelle pour accompagner les transitions professionnelles ? Encore les partenaires sociaux à la manœuvre.
Cette prééminence a été inscrite dans notre droit du travail à une place de choix. L’article 1 du Code du travail l’impose : « Tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle fait l’objet d’une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel en vue de l’ouverture éventuelle d’une telle négociation. »
Le système marche, ne nous en privons pasS’il ne suffisait que de ça, affirmons-le : les partenaires sociaux, et les exemples précédents l’illustrent, ont mérité notre confiance. Les représentants syndicaux, élus, négocient, discutent et décident toute l’année, au sein de l’entreprise, au sein des branches et au niveau national. Cette négociation permanente est aussi bien sa légitimité que sa force. Là où le législateur arrive souvent après coup pour réparer une injustice, les partenaires sociaux ont le mérite et la caractéristique de pouvoir anticiper les problématiques, de pouvoir proposer des solutions et modifications qui évitent justement aux crises de se cristalliser.
Faisons confiance aux partenaires sociaux et laissons-les négocier
Une dangereuse tendance a émergé depuis plus de 10 ans et s’intensifie, celle de n’attendre des partenaires sociaux qu’ils ne signent que des textes quasiment déjà préparés et réfléchis par l’exécutif. Cette tentation est compréhensible mais intrinsèquement vouée à l’échec et ne pourra que donner lieu aux impasses. Faisons confiance aux partenaires sociaux et laissons-les négocier avant de dégainer la dangereuse arme de l’obligation, à charge pour les partenaires sociaux, en contrepartie, d’agir dans un esprit de responsabilité afin d’éviter de repousser aux générations futures le poids des conséquences de nos décisions.