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Face aux pics de chaleur attendus, quelles sont les obligations de l'employeur et les droits des salariés ?

Face à la canicule exceptionnelle annoncée et qui devrait concerner une grande partie de la France cette semaine, avec des pics de chaleur pouvant atteindre 40°C dans plusieurs régions, la Ministre du Travail, Muriel Penicaud, interviewée le 23 juin sur le plateau du Grand Jury RTL – LCI – Le Figaro, rappelait aux employeurs leurs obligations pour protéger la santé et la sécurité de leurs collaborateurs.

  1. Tour d’horizon des principales obligations en cas de fortes chaleurs

Même si le Code du travail ne prévoit aucune disposition spécifique concernant la conduite à tenir en cas de fortes chaleurs et le seuil de température au-delà duquel cette dernière présenterait un risque pour les salariés, l’INRS (Institut National de Recherche et de Sécurité) et la CNAMTS (Caisse Nationale d’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés) considèrent qu’au-delà de 33°C, les risques peuvent s’avérer importants pour les salariés.

Rappelons que dans le cadre de son obligation de sécurité, découlant des articles L. 4121-1 et suivants du Code du travail, l’employeur doit « assurer la sécurité » et « protéger la santé » de ses salariés.

L’instruction ministérielle du 22 mai 2018 (n° DGS/VSS2/DGOS/DGCS/DGT/ DGSCGC/2018/110) reconduisant le Plan National Canicule (PNC) de 2017 et qui devrait être reconduit pour 2019, impose à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la santé physique et mentale des travailleurs.

Il y est mentionné « la nécessité d’agir sans attendre le passage au niveau de vigilance orange ». Il s’agit donc bien d’une réelle obligation de prévention qui est attendue du côté des employeurs.

Selon les secteurs d’activité, l’obligation de prévention sera d’autant plus grande lorsque les salariés sont exposés à des contraintes thermiques fortes, notamment à l’occasion de travaux ou de déplacements en extérieur (salariés du BTP, jardiniers, travaux de voirie, ouvriers agricoles…), mais aussi lors de la réalisation de missions dans des espaces par nature surchauffés (cuisines de restaurants, boulangerie, pressings, sites industriels…) ou de bureaux non climatisés.

Le cas échéant, l’employeur se doit d’évaluer les risques liés aux ambiances thermiques dans le DUER (document unique d’évaluation des risques) et établir un plan d’action de prévention de ce risque ainsi identifié conformément aux dispositions de l’article R. 4121-1 du Code du travail.

Ce document permettra notamment d’identifier et de lister les postes les plus exposés :

  • aux contraintes thermiques environnementales (température ambiante très élevée, ensoleillement intense mais également grand froid) ;
  • aux facteurs liés au travail (travail dans des bureaux sans climatisation ou à forte inertie thermique, travail physique exigeant, manutentions lourdes ou rapides, chaleur dégagée par des machines ou produits, port de vêtement de travail empêchant l’évaporation de la sueur…).

L’INRS rappelle notamment que « la chaleur augmente les risques d’accidents car elle induit une baisse de la vigilance et une augmentation des temps de réaction. La transpiration peut aussi rendre les mains glissantes ou venir gêner la vue. La prévention la plus efficace consiste à éviter ou au moins à limiter l’exposition à la chaleur ».

Une fois ces postes à risques identifiés, ce document devra prévoir les mesures adaptées afin de réduire ces risques et de mettre à l’abri les travailleurs qui y seraient exposés.

A cet effet, les employeurs sont vivement invités, par l’Instruction Ministérielle du 22 mai 2018, à se faire assister par les services de santé au travail.

Réciproquement, les DIRECCTE doivent inciter les employeurs à adapter en conséquence l’organisation du travail.

Le Code du travail prévoit quelques mesures destinées à diminuer l’impact des fortes chaleurs sur l’état de santé du salarié :

  • Mettre à la disposition du personnel de l’eau fraîche et potable, à proximité des postes de travail (art. R. 4225-2 et R. 4225-4 du Code du travail) ;
  • Mettre gratuitement à la disposition des salariés devant se désaltérer fréquemment lors de circonstances de travail particulières au moins une boisson non alcoolisée. La liste des postes concernés est établie par l’employeur, après avis du médecin du travail et du CSE (art. R. 4225-3 du Code du travail) ;
  • Aménager les postes de travail extérieurs de telle sorte que les travailleurs soient, dans la mesure du possible, protégés contre les conditions atmosphériques (art. R. 4225-1 du Code du travail).

Au-delà des quelques obligations légales en la matière, il existe également plusieurs recommandations émanant d’organismes tels que l’INRS, la CNAMTS et le Haut conseil de la santé publique.

La CNAMTS recommande notamment aux employeurs d’organiser l’évacuation des locaux si la température intérieure atteint ou dépasse 34°C en cas de défaut prolongé du renouvellement de l’air.

Le Haut Conseil de la Santé Publique recommande quant à lui des dispositions telles que :

  • Informer tous les salariés des risques, des moyens de prévention, des signes et symptômes du coup de chaleur et d’informer et consulter le CSE ;
  • Surveiller les ambiances thermiques des lieux de travail ;
  • Travailler de préférence aux heures les moins chaudes ;
  • Effectuer une rotation des tâches avec des postes moins exposés ;
  • Eviter le travail isolé ;
  • Augmenter la fréquence des pauses, si possible dans les locaux les plus frais ;
  • Limiter le travail physique et le port de charges lourdes ;
  • Aménager des aires de repos climatisées ou des zones d’ombre ;
  • Port de vêtements légers, amples et de couleurs claires, voire de casquettes ou de coiffes si le travail est réalisé en extérieur.

Sur ce point, il est à rappeler que les salariés qui ont l’obligation de porter une tenue correcte, notamment s’ils sont en contact avec la clientèle, demeurent tenus de respecter cette obligation, y compris en cas de forte chaleur (voir ainsi, à propos du port du bermuda pour les hommes : Cass. Soc. 12 novembre 2008 n°07-42.220 et article de Nadia Perlaut du 30 juillet 2018 : « Canicule ? Tenue correcte exigée ! » [https://lagaranderie.fr/?p=1683]).

La Ministre du Travail, Muriel Pénicaud, allait même jusqu’à demander aux entreprises d’adapter les horaires de travail de leurs salariés, à la canicule.

« La santé des personnes qui travaillent, quand elles sont sur le lieu de travail, c’est la responsabilité des employeurs », a insisté la Ministre. « Ils doivent prendre les mesures qu’il faut, adapter les horaires, adapter les équipements, et permettre que tout le monde reparte en bonne santé ».

Le recours au télétravail est même vivement recommandé par la Ministre de la Santé, Agnès Buzin : une bonne occasion d’appliquer, à défaut d’accord collectif ou de charte, le télétravail occasionnel introduit par les ordonnances Macron du 22 septembre 2017 et codifié sous l’article L1222-9 du Code du travail. L’accord de l’employeur devra toutefois être formalisé (par tous moyens).

S’agissant de simples recommandations, précisons que même si elles n’ont pas force de loi, l’employeur qui ne les appliquerait pas pourrait s’exposer à un manquement grave à son obligation de sécurité, en cas de survenance d’un accident du travail, a fortiori s’il n’a pris aucune mesure pour prévenir ses salariés quant aux risques de la canicule.

En revanche, sa responsabilité pourrait être limitée s’il établit avoir pris en amont des mesures de prévention « de qualité » (CA Bordeaux, 28 septembre 2017 n°16/01301), notamment en mettant en place une organisation et des moyens adaptés et en organisant des actions d’information et de sensibilisation, mais également en cas de survenance du risque, en prenant des mesures immédiates pour le faire cesser.

  1. Inertie de l’employeur et droit de retrait du salarié

En cas de fortes chaleurs, l’employeur doit donc adopter les bons gestes pour garantir à ses collaborateurs un cadre de travail serein et sécurisé.

Cela peut donc se traduire par des mises à disposition de ventilateurs ou de climatiseurs, de brumisateurs, de bouteilles d’eau, de pauses rallongées durant les heures chaudes, de vêtements légers, d’aménagements des horaires, du recours au télétravail lorsque cela est possible, d’actions de prévention, de limitation de ports de charges…

L’INRS liste les effets de la chaleur : « fatigue, sueurs abondantes, nausées, maux de tête, vertiges, crampes… Ces symptômes courants liés à la chaleur peuvent être précurseurs de troubles plus importants, voire mortels : déshydratation, coup de chaleur ».

Durant la canicule de 2018 (24 juillet au 11 août), 8 décès de travailleurs ont été dénombrés, ayant pour origine les fortes chaleurs (Source Santé Publique France).

Le salarié qui aurait un motif raisonnable de penser qu’il se trouve dans une situation de travail présentant un « danger grave et imminent » pour sa vie ou sa santé, pourrait-il exercer son droit de retrait tiré de l’article L. 4131-1 du Code du travail, en vue d’arrêter son travail ?

Rappelons qu’en cas de malaise consécutif à des températures élevées, le Haut conseil de la santé publique recommande aux travailleurs de cesser immédiatement toute activité et de prévenir l’employeur et les collègues.

Sous réserve d’en informer immédiatement l’employeur, le salarié soumis à de fortes chaleurs et qui s’estimerait exposé à un risque grave et imminent pour sa santé pourrait tout à fait exercer son droit de retrait et quitter immédiatement son poste de travail.

Si le droit de retrait est exercé légitimement, le salarié ne peut se voir infliger aucune sanction.

En revanche, en cas d’exercice illégitime du droit de retrait, l’employeur serait tout à fait fondé à procéder à une retenue sur salaire, correspondant à la période d’arrêt du travail non justifié.

Ce pourrait notamment être le cas si l’employeur justifie de la mise en place d’actions de prévention et de protection contre la canicule et/ou s’il démontre que le salarié n’a pas suivi les recommandations et mesures mises en œuvre pour prévenir et limiter les effets de la chaleur.

A la question de savoir si la canicule aura un impact sur l’activité économique du pays ? « La santé des hommes passe avant tout », balayait la Ministre.

En raison de l’épisode de canicule annoncé, la vigilance est de mise rappelle le gouvernement.

Employeurs : un suivi du mercure s’impose !

le 25/06/2019

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