Une nouvelle étape a été franchie le 11 septembre 2019 par la Cour de Cassation avec l’ouverture du bénéfice du préjudice d’anxiété à l’ensemble des salariés exposés à des produits toxiques ayant des effets graves sur la santé (n°17-24.879 à 17-25.623).
Jusqu’à présent, la jurisprudence cantonnait l’indemnisation aux salariés exposés à l’amiante (cf notre article https://lagaranderie.fr/?p=2079).
Concrètement, l’indemnisation de ce préjudice permet aux salariés qui ont été exposés à une substance toxique et qui vivent dans la crainte de tomber malades de pouvoir obtenir réparation.
Les affaires qui ont donné lieu à cette nouvelle position concernent 732 anciens mineurs des houillères de Lorraine qui ont été exposés pendant toute leur carrière à des produits toxiques et cancérogènes tel que poussières d’amiante, silice, hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), trichloréthylène…
La Chambre sociale de la Cour de Cassation a jugé que:
« En application des règles de droit commun régissant l’obligation de sécurité de l’employeur, le salarié qui justifie d’une exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave et d’un préjudice d’anxiété personnellement subi résultant d’une telle exposition, peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité ».
On pense immédiatement aux salariés exposés à des produits cancérigènes-mutagènes-reprotoxiques (CMR) qui se fixent sur certains organes et peuvent déclencher des maladies prises en charge au titre de la législation professionnelle:
D’après les résultats de l’enquête nationale Sumer 2017 (Surveillance médicale des expositions aux risques) publiée il y a seulement quelques semaines, plus de 1,8 millions de salariés sont exposés à au moins un produit cancérogène https://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/dares_analyses_evolution_expositions_professionnelles_salaries_sumer_2017.pdf.
Cela donne une idée du potentiel judiciaire de cette décision.
Mais la possibilité pour les salariés de solliciter une indemnisation reste soumise au respect de certaines conditions.
En premier lieu, les juridictions saisies (le Conseil de Prud’hommes en première instance) devront trancher la question de la prescription.
En la matière, l’action se prescrit par 5 ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
Ensuite et surtout, le salarié devra rapporter la preuve que son employeur a commis une faute en méconnaissant son obligation de sécurité.
Au-delà des problématiques liées aux expositions passées, les employeurs doivent donc désormais préparer l’avenir en vérifiant si leur politique de prévention est suffisamment solide.
La prévention du risque d’exposition à des agents chimiques cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR) relève du Code du travail (articles R. 4412-59 à R. 4412-93).
Après avoir réalisé l’évaluation des risques et mis en évidence un risque d’exposition à un agent CMR, l’employeur doit en priorité éviter le risque (article R. 4412-67). Si cela n’est pas possible, le risque doit être réduit en remplaçant l’agent CMR par un produit ou un procédé pas ou moins dangereux (article R. 4412-66).
L’employeur doit consigner les résultats des essais de substitution effectués dans la DUER.
On constate notamment une forte diminution du nombre de salariés exposés au trichloroéthylène pour lequel des produits de substitution efficaces existent.
Ainsi, les employeurs qui n’ont pas encore procédé à cette substitution s’exposent désormais à des actions judiciaires en réparation du préjudice d’anxiété.
Lorsque la substitution n’est pas réalisable, la production et l’utilisation du produit CMR doit s’effectuer en système clos (article R. 4412-68).
Lorsque des agents chimiques sont dotés de valeurs limites d’exposition professionnelle (VLEP) réglementaires listées aux articles R. 4412-149 et R. 4412-150 du Code du travail, l’employeur doit en outre faire réaliser un contrôle au moins une fois par an par un organisme accrédité.
Les travailleurs exposés doivent bénéficier d’une information et d’une formation sur les risques et les précautions à prendre, les mesures d’hygiène et d’urgence, le port de protections individuelles.
Pour chaque poste ou situation de travail, une notice rappelant les risques et les consignes de sécurité se rapportant aux protections collectives et individuelles doit être établie.
La Garanderie Avocats attire l’attention des employeurs sur l’importance de la conservation des preuves relatives aux modalités de suivi des expositions et aux mesures de prévention et de formation mises en œuvre qui devront faire l’objet de la plus grande vigilance.
A défaut, les conséquences financières pourraient être lourdes en particulier pour les entreprises des secteurs qui emploient des centaines de salariés potentiellement exposés (la construction, l’agriculture, la métallurgie, l’industrie chimique, pharmaceutique, l’industrie pétrolière, le nettoyage …)