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Evaluation des risques professionnels et Covid-19: que nous apprend l’ordonnance du 14 avril 2020 rendue dans l’affaire Amazon ?

Le contexte de l’affaire

La société Amazon France Logistique compte un siège social d’une centaine de salariés et six entrepôts employant entre 726 personnes et 2.774 personnes chacun.

Depuis le début de la crise sanitaire, des mesures de prévention ont été mises en place par la société, qui a notamment aménagé de nouvelles plages horaires pour ramener le nombre de salariés simultanément présents sur un site à 500, a affecté 350 salariés, ambassadeurs hygiène et sécurité, à une nouvelle mission consistant à garantir le respect par les salariés des mesures barrières et des consignes de sécurité et de prévention du risque de contamination.

Des mises en demeure et lettres d’observation visant au renforcement de certaines mesures de prévention ont été adressées par l’inspection du travail à plusieurs établissements de l’entreprise.

Les demandes portées en justice

L’Union Syndicale Solidaires a assigné la S.A.S. Amazon France Logistique en référé d’heure à heure devant le Tribunal Judiciaire de Nanterre, aux fins de voir ordonner :

– A titre principal, l’arrêt de l’activité des entrepôts ressemblant plus de 100 salariés en un même lieu clos de manière simultanée,

– A titre subsidiaire : l’arrêt de la vente et la livraison de produits non essentiels (c’est-à-dire ni alimentaires, ni d’hygiène, ni médicaux) et la réduction du nombre de salariés présents de manière simultanée de telle sorte qu’il ne dépasse pas 100 salariés par site,

– En tout état de cause : 

  • Une évaluation des risques professionnels liés à l’épidémie de Covid 19,
  • La mise en œuvre – au regard des résultats de l’évaluation – des gestes barrières et moyens de protection adaptés en fonction des activités, voire des postes occupés.

La décision

  • Sur la demande d’interdiction quant à la présence de plus de 100 salariés dans un même lieu clos

Les demandes formées au titre de l’interdiction des rassemblements de plus de 100 personnes ont été rejetées.

Le Tribunal a en effet rappelé que si le Premier Ministre a, par décret du 23 mars 2020, apporté des restrictions en ce qui concerne les rassemblements, réunions ou activité de plus de 100 personnes en milieu clos ou ouvert, et en restreignant les activités des établissements recevant du public, les établissements d’accueil des enfants, les établissements d’enseignement scolaire et supérieur ainsi que la tenue des concours et examens, aucune autre limitation à la liberté d’entreprendre n’a été prévue.

La présence simultanée de plus de 100 salariés dans un même entrepôt ne constitue donc pas une violation de ses obligations par l’employeur.

  • Sur l’évaluation des risques liés au Covid 19

Le tribunal a estimé que la société améconnu son obligation de sécurité et de prévention de la santé des salariés, ce qui constitue un trouble manifestement illicite

Pour ce faire, il a rappelé que:

« (…) En application des articles L 4121-3 et R4121-1 à –4 du code du travail, l’employeur est tenu d’évaluer dans son entreprise les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs et de transcrire les résultats dans un document unique et de mettre en oeuvre les mesures de prévention adéquates. Ainsi que le précise la circulaire du DRT 2002-6 du 18 avril 2002, les représentants des salariés doivent être associés à l’évaluation de ces risques. Il convient de rappeler en outre que le comité social et économique a pour mission de promouvoir la santé, la sécurité et l’amélioration des conditions de travail dans l’entreprise et qu’il doit être consulté en cas de modification importante de l’organisation du travail. L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes. Suite au passage au stade 3 de l’épidémie, il n’est pas discuté que les mesures nécessaires au sens de ces dispositions sus-rappelées sont celles préconisées puis rendues obligatoires par le gouvernement à savoir notamment s’assurer que les règles de distanciation et les gestes barrières sont effectivement respectés au sein de l’entreprise et que les réunions soient effectivement limitées au strict nécessaire comme doivent l’être les regroupements de salariés dans des espaces réduits et que l’organisation du travail doit être au maximum adaptée (…). »

Alors même que la société a justifié avoir adopté de nombreuses mesures de prévention, le Tribunal a notamment considéré que :

– Les instances représentatives du personnel n’avaient pas été suffisamment associées à l’évaluation des risques.

–  Le risque de contamination à l’entrée du site avait été insuffisamment évalué. 

Après avoir rappelé que chaque salarié doit utiliser un portique tournant pour pénétrer dans l’établissement, le Tribunal a estimé que le respect des distances entre chacun et l’utilisation possible de gel hydroalcoolique fourni individuellement à l’entrée n’était pas suffisant dès lors le nombre de salariés prenant leur poste en même temps demeurait élevé – entre 150 et 450 sur les mêmes horaires – malgré les nouvelles plages horaires mises en place.

– Les risques psychosociaux liés à l’épidémie n’avaient pas été évalués alors que l’évaluation apparaît « particulièrement nécessaire » pour rendre compte des effets sur la santé mentale des changements organisationnels (modification des plages de travail et de pause, télétravail), des nouvelles contraintes de travail, de la surveillance soutenue mise en place quant au respect des règles de distanciation et les inquiétudes légitimes des salariés par rapport au risque de contamination à tous les niveaux de l’entreprise.

Le risque de contamination lié à la réorganisation des vestiaires avait été insuffisamment évalué.

Après avoir rappelé que des moyens de désinfection avaient été  mis en place dans des quantités suffisantes pour permettre aux salariés de nettoyer les portes et les systèmes de fermeture des armoires, il a estimé que le fait de limiter l’accès aux vestiaires – pour éviter qu’un trop grand nombre de personnes s’y trouve en même temps – en permettant aux salariés de déposer leurs manteaux les uns sur les autres à proximité de leur poste de travail générait de nouveaux risques de contamination qui n’avaient pas été évalués.

 – Le risque de contamination tenant aux manipulations des cartons de la réception dans l’entrepôt à la livraison par les chauffeurs n’avait pas été évalué.

En conséquence, le Tribunal a ordonné à l’entreprise de restreindre les activités de ses entrepôts à la réception des marchandises, la préparation et l’expédition des commandes de produits alimentaires, de produits d’hygiène et de produits médicaux tant qu’elle n’aura pas mis en œuvre, en y associant les représentants du personnel, une évaluation des risques professionnels inhérents à l’épidémie de Covid-19 sur ses centres de distribution et les mesures de prévention qui en découlent et ce, sous astreinte d’un million d’euros par jour et par infraction constatée.

En conclusion

La sévérité de cette décision tend à indiquer que les obligations mises à la charge des entreprises en matière d’évaluation des risques professionnels en cette période de crise sanitaire sont fortement renforcées.

En vue de la reprise ou de la poursuite de son activité, l’employeur devra en particulier :

  • rappeler par tout moyen (affichage dans les sanitaires, mail, formation…) les gestes barrière à respecter ainsi que la règle de distanciation sociale,
  • mettre à disposition du gel hydroalcoolique, et des lingettes désinfectantes pour permettre le nettoyage, plusieurs fois par jour des surfaces et équipements de travail,
  • mettre en place des mesures visant à limiter le nombre de salariés présents simultanément dans un même lieu (bureau, cantine, vestiaires…);
  • définir la procédure à suivre lorsqu’un salarié est dépisté positif au Covid-19.

Cette décision indique également que les mesures Covid-19 mises en place dans les entreprises appellent à une grande concertation avec le CSE sur l’évaluation des risques liés et de toute nature (Exemple : la durée de contamination d’un objet impose une réflexion précise sur les actes quotidiens des salariés).

Il est donc déjà temps de penser aux points de vigilance en vue de la sortie du confinement qui ne sera pas, selon les prévisions scientifiques, la fin de la propagation du virus.

La mise en place dès à présent d’une concertation régulière (par exemple sur la liste des supports de propagation, de contacts éventuels avec le médecin du travail …) sera un atout pour réussir en confiance le redémarrage de l’activité.


le 20/04/2020

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