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Du déclin du coemploi, vers un regain de la responsabilité civile délictuelle de la société mère

Si la théorie du coemploi, qui permet aux salariés de rechercher la solvabilité de la société mère pour obtenir des dommages et intérêts pour licenciement économique dépourvu de cause réelle et sérieuse a connu quelques développements jurisprudentiels importants au début des années 2000, elle est désormais encadrée par des règles plus strictes, précisées par la Cour de cassation notamment avec la motivation de l’affaire Molex en 2014 (Cass. Soc. 2 juillet 2014, n°13-15.208 et suivants).

L’existence du coemploi se démontre :

  • - Soit par l’existence d’un lien de subordination avec la société prétendument coemployeur au travers de l’ingérence de cette dernière dans la direction du personnel de l’entreprise directement employeur,
  • - Soit par une immixtion anormale d’une société dans la gestion d’une autre, elle-même établie par des critères d’appréciation précis, cumulatifs et multiples démontrant une confusion des intérêts économiques.

Ces dernières années, la Cour de cassation a fait une application de plus en plus restrictive de la théorie du coemploi, notamment, en dernier lieu, concernant les sociétés PROMA SSA et CONTINENTAL en ce qu’elle a reconnu que :

  • « le fait que les dirigeants de la filiale proviennent du groupe et agissent en étroite collaboration avec la société mère, que la politique du groupe déterminée par la société mère ait une incidence sur la politique de développement ou la stratégie commerciale et sociale de sa filiale et que la société mère se soit engagée au cours du redressement judiciaire à prendre en charge le financement du plan de sauvegarde de l’emploi ne pouvaient suffire à caractériser une situation de co-emploi. » (Cass. Soc. 6 juillet 2016, n°14-26.541)
  •  « le fait que la politique du groupe déterminée par la société-mère ait une incidence sur l’activité économique et sociale de sa filiale, et que la société-mère ait pris dans le cadre de cette politique des décisions affectant le devenir de sa filiale et se soit engagée à garantir l’exécution des obligations de sa filiale liées à la fermeture du site et à la suppression des emplois ne pouvaient suffire à caractériser une situation de co-emploi » (Cass. Soc. 6 juillet 2016, n°14-27.266);

C’est donc dans le droit fil de cette jurisprudence que la Cour de cassation a dernièrement écarté les demandes de reconnaissance de coemploi formulées par les salariés (Cass. Soc. 24 mai 2018, n°16-22.881 et suivants, n°16-18.621 et suivants, n°17-15.630).Dans l’arrêt METALEUROP, la chambre sociale a écarté l’argument du coemploi en retenant :

« la société Métaleurop Nord avait conservé son autonomie décisionnelle dans ses fonctions de production et le respect des réglementations, dans sa gestion comptable et dans celle des ressources humaines pour le personnel non cadre, et retenu que l’intervention de la société mère dans la nomination des instances dirigeantes et du contrôle de leur action ou l’attribution d’une prime exceptionnelle aux cadres dirigeants, ainsi que dans la gestion financière de la filiale par le biais d’une convention d’assistance technique et de gestion de trésorerie n’excédait pas la nécessaire coordination des actions économiques entre deux sociétés appartenant à un même groupe, a pu en déduire l’absence de la qualité de coemployeur de la société Métaleurop SA. » (Cass. Soc. 16-18.621).

Ce qui inspirait les jurisprudences qui l’ont précédé est désormais clairement précisé. Il s’agit bien de distinguer la structure économique d’un groupe et ses impératifs d’une relation contractuelle employeur-salarié.

Afin d’obtenir réparation par la société mère ou holding, hors « coemploi », les demandeurs sollicitent, de plus en plus fréquemment, des dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité délictuelle de cette entité.

C’est dans ce contexte que la chambre sociale de la Cour de cassation s’est prononcée le 24 mai dernier et a poursuivi la définition du contour de cette responsabilité extra-contractuelle de sociétés tierces à la relation de travail.

Dans un premier arrêt « LEE COOPER France », la Cour de cassation a retenu que le principal actionnaire de la société « avait pris, par l’intermédiaire des sociétés du groupe, des décisions préjudiciables dans son seul intérêt d’actionnaire, lesquelles avaient entraîné la liquidation partielle de la société Lee Cooper France » et  « avait par sa faute, concouru à la déconfiture de l’employeur et à la disparition des emplois qui en est résultée. ».

La situation économique et la conduite de la société mère peuvent aussi être prises en considération.

La responsabilité délictuelle de la société FUNKWERK, actionnaire unique de la société BOUYER depuis 2008 (placée en liquidation judiciaire en 2010), n’a en revanche pas été retenue pour les motifs suivants :

  • - La situation de la société Bouyer était compromise depuis le début des années 2000 en l’absence de mise en œuvre de moyens commerciaux, technologiques ou industriels par les acquéreurs successifs,
  • - Une large partie de la trésorerie injectée avant la cession au profit de la société Funkwerk avait été absorbée au cours de l’exercice 2008 par les pertes de la société dont la dégradation extrêmement rapide de la trésorerie n’avait pu être empêchée malgré de multiples actions menées au sein de l’entreprise au cours de l’année 2009 ;
  • - L’avance en compte courant de la société Bouyer au profit de la société Funkwerk constatée au 26 novembre 2009 avait été remboursée ;
  • - La facturation de « management fees » entre les deux sociétés correspondait à de réelles prestations,
  • - La société Funkwerk n’avait pas à mettre en œuvre au lieu et place de sa filiale une stratégie industrielle et commerciale ainsi qu’une politique de gestion des ressources humaines notamment par des plans de formation ou de prévention des risques psychosociaux ;
  • - La dégradation rapide de la trésorerie de la société Bouyer était de nature à légitimer le refus de financer un plan de sauvegarde de l’emploi par la société Funkwerk qui était elle-même en difficultés économiques.

En conclusion, la Cour de cassation a considéré que « la société Funkwerk n’avait pas, par les décisions de gestion prises, commis de faute ayant compromis la bonne exécution par sa filiale de ses obligations ni contribué à sa situation de cessation des paiements ».

La position ainsi adoptée par la Cour de cassation n’est d’ailleurs pas sans rappeler la décision rendue le 12 janvier 2002 par le Conseil Constitutionnel, à l’occasion de l’examen d’un texte relatif à la définition du motif économique de licenciement, et au terme de laquelle était consacrée la liberté d’entreprise, ainsi, qu’à travers elle, la liberté des choix de gestion (Décision n°2001-455 DC du 12 janvier 2002).

Du côté des sociétés mères, la mise en cause de leur responsabilité délictuelle en cas de licenciement pour motif économique au sein de leurs filiales, est aussi soumise à un contrôle selon une recherche précise tant économique que sur le plan d’une responsabilité sociale qui pour n’être pas nommée est présente dans le raisonnement.

Néanmoins, ne faudrait-il pas avant toute discussion vérifier que la juridiction prud’homale est véritablement compétente pour connaître de ces demandes, même subsidiaires, au titre de la responsabilité extra-contractuelle d’une société mère, en l’absence de contrat de travail ?


le 14/06/2018

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