# Libertés & Droits Humains
Barème prudhommal et droit européen : Saison I

Après la validation des dispositions de l’article L.1235-3 du Code du travail par le Conseil constitutionnel (Décision n°2018-761 DC du 21 mars 2018), les opposants à l’application du barème ont donc contesté sa validité au regard de différentes normes internationales et européennes.

Ainsi, aux termes d’un jugement du 26 septembre 2018 (RG n°17/00538), le Conseil de Prud’hommes du Mans a été amené à se prononcer sur la conventionnalité de ce dispositif au regard de l’article 10 de la Convention OIT n°158 et de l’article 24 de la Charte sociale européenne.

  • Le barème au regard de l’article 10 de la Convention OIT n°158

Ce n’est pas la première fois qu’un Conseil de prud’hommes se prononce sur la conventionnalité d’une disposition au regard de la Convention OIT n°158. Le Conseil de prud’hommes de Longjumeau ayant, par exemple, estimé que le contrat « nouvelles embauches » était non valable et privée d’effet juridique en raison du non-respect de la Convention OIT n°158. (Décision du CPH de Longjumeau : 28 avril 2006, n° F 06/00316).

La Convention OIT n°158 concerne la cessation de la relation de travail à l’initiative de l’employeur et son article 10 précise que « si les organismes mentionnés à l’article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ».

Dans sa décision du 26 septembre 2018, le Conseil de prud’hommes du Mans valide le barème prévu à l’article L.1235-3 du Code du travail en précisant qu’il « appartient toujours au juge, dans les bornes du barème ainsi fixé, de prendre en compte tous les éléments déterminant le préjudice subi par le salarié licencié, lorsqu’il se prononce sur le montant de l’indemnité à la charge de l’employeur ».

Pour la juridiction prudhommale, l’existence de ce pouvoir d’appréciation sur le quantum de l’éventuelle condamnation à la disposition des conseillers prudhommaux permet de valider le fait que l’indemnité sera individualisée en fonction des différents cas de figure et sera donc jugé comme « adéquate ».

De plus, dans cette décision, la juridiction prudhommale rappelle également qu’il existe des dérogations à l’application du barème en cas de « violation d’une liberté fondamentale, de faits de harcèlement moral ou sexuel, d’une atteinte à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ou de l’exercice d’un mandat par un salarié protégé ».

L’existence de ces dérogations permettrait de mieux apprécier l’adéquation entre le motif du licenciement et l’indemnité en fonction de ce motif.

Or, le fait d’exclure du barème certaines demandes selon leurs fondements peut étonner alors que le barème issu du nouvel article L.1235-3 du Code du travail répare le préjudice de l’absence de motif réel et sérieux de licenciement.

Les cas de dérogation prévus par l’article L.1235-3 et rappelés par le Conseil de prud’hommes dans sa décision sont des causes fautives de la part de l’employeur, mais le préjudice en découlant n’est pas encadré par un barème.

En agissant comme tel, le pouvoir exécutif génère une hiérarchisation dans les éventuelles fautes de l’employeur. Il existera alors les fautes « simples » dont l’indemnisation est encadrée et des fautes plus graves qui ne sont donc pas plafonnées.

Après la notion de faute grave du salarié, ce nouveau barème dégagerait-il l’existence d’une notion de « faute grave » de l’employeur ?

Il convient, à ce titre, de souligner qu’un an après l’adoption de ces ordonnances, les juridictions constatent une hausse des argumentations sur le fondement du harcèlement ou de l’atteinte aux libertés fondamentales. Cette augmentation peut s’expliquer comme une tentative de contournement du barème.

Quant à la reconnaissance de l’adéquation entre la cause et la réparation du préjudice, l’analyse du Conseil de prud’hommes peut être contestable.

En effet, en droit civil, l’octroi de dommages et intérêts est la conséquence de la reconnaissance d’une faute d’une partie envers l’autre, mais vise à réparer un préjudice individualisé. En l’occurrence, le fait pour une société de licencier un salarié sans motif réel et sérieux met en œuvre sa responsabilité.

Le nouveau barème vise à encadrer la réparation de l’acte commis par l’employeur, à forfaitiser le préjudice.

Or, en conditionnant le barème uniquement en fonction de l’ancienneté et de la rémunération du salarié, l’adéquation entre la faute et le préjudice peut s’avérer inopportune.

Pour une même faute de l’employeur pourquoi un jeune salarié devrait être moins indemnisé qu’un salarié avec une ancienneté plus conséquente ? Leur préjudice est-il différent alors que l’absence de cause réelle et sérieuse de licenciement est la même ?

Le préjudice de la perte d’emploi d’un salarié ayant plus de 55 ans est certainement plus grand que celui d’un salarié de 30 ans, compte tenu des difficultés du retour à l’emploi.

Dans cette condition, le critère devant être retenu n’est pas celui de l’ancienneté, mais celui de l’âge du salarié au moment du licenciement même si l’ancienneté peut laisser augurer de l’âge.

En effet, dans le marché du travail actuel, de moins en moins de salariés effectuent l’ensemble de leurs carrières au sein de la même société. Dès lors, une personne licenciée à 55 ans peut n’avoir que très peu d’ancienneté dans sa nouvelle entreprise au moment de son licenciement. Son préjudice sera grand, mais il ne bénéficiera au regard des seuls critères du barème que d’une indemnisation basse dans l’échelle prévue.

L’analyse par les juridictions françaises du critère de l’adéquation telle que mentionnée par la Convention OIT n°158 est donc loin d’être terminée.La décision du Conseil constitutionnel n’a pas réglé toutes les questions.

  • La non application directe de la Charte sociale européenne

Le Conseil de Prud’hommes du Mans se prononce aussi sur la recevabilité du barème au regard de l’article 24 de la Charte sociale européenne qui énonce :

« En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître :

a) le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service;

b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.

A cette fin les Parties s’engagent à assurer qu’un travailleur qui estime avoir fait l’objet d’une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial ».

La juridiction prudhommale énonce dans un premier temps que ces dispositions ne sont pas directement applicables par les juridictions françaises et précise à titre subsidiaire que les principes énoncés sont similaires à ceux de l’article 10 de la Convention OIT n°158.

Si la similarité entre la « indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée » définie par l’article 24 de la Charte sociale européenne et « indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée » mentionnée à l’article 10 de la Convention OIT n°158 ne fait pas débat, il n’en va pas de même pour la question de l’application de la Charte sociale européenne en droit interne.

En effet, l’applicabilité directe ou non de ce texte en droit interne n’est pas explicitement dégagée par la jurisprudence de la Cour de cassation.

Il existe des décisions reconnaissant un effet direct de certaines dispositions de la Charte mais l’effet direct de l’ensemble de la Charte sociale européenne est plus contestable. (Cass. Soc., 14 avril 2010 n° 09-60.426 rendu au visa des articles 5 et 6 de la Charte sociale européenne).

Ainsi, dans sa décision relative aux forfaits jours (Cass. Soc., 9 juin 2011 n° 09-71107), la Cour de cassation s’est indirectement appuyée sur la Charte sociale européenne en rendant notamment cette décision au visa de « l’article 151 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne se référant à la Charte sociale européenne ».

Il ressort de ce qui précède que cette première décision pourrait être contestée en appel aussi sur ce fondement.

* * *

Cette décision est très certainement la première d’une longue série portant sur ce nouveau barème prudhommal.

En marge de cette « saga » judiciaire, on constate d’ores et déjà une baisse du nombre de contentieux devant le Conseil de prud’hommes.

En effet, l’instauration de ce barème peut favoriser le rapprochement amiable entre les parties et l’utilisation des modes alternatifs de résolutions des litiges comme le recours à la médiation ou à l’arbitrage. Des sujets qui sont au cœur de la réforme de la Justice actuellement en discussion devant le Parlement.

La Garanderie Avocats ne manquera pas de suivre les évolutions à venir sur ces questions.

le 16/10/2018

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