# Libertés & Droits Humains
Barème prud'hommal et droit international et européen

Au terme de notre précédent article, le barème énoncé à l’article L.1235-3 du Code du travail avait été jugé conforme au droit international et européen par le Conseil de prud’hommes du Mans (CPH du Mans, RG, n°17/00538).

Selon le Conseil de Prud’hommes de Troyes, il en va autrement car il vient de l’écarter au visa des mêmes textes (CPH de Troyes, RG : 18/00036).

En l’espèce, un salarié embauché le 3 mars 2015 est licencié pour motif économique le 28 février 2018.

Dès lors, le salarié possède une ancienneté de 2 ans, 11 mois et 25 jours au moment de la rupture de son contrat de travail.

Le salarié conteste son licenciement et souhaite voir « dire et juger, à titre principal, que doit être écarté le montant maximal d’indemnisation prévu par l’article L.1235-3 du Code du travail, en raison de son inconventionnalité, ce plafonnement violant les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la convention 158 de l’OIT et le droit au procès équitable ».

Le salarié sollicite alors, à titre principal, l’équivalent de 9 mois de salaire et à titre subsidiaire l’application du plafond du barème à savoir 4 mois.

A titre liminaire, on observera que le salarié sollicite l’application du barème applicable aux 3 ans d’ancienneté complètes alors qu’il a été licencié 4 jours avant la date anniversaire de son contrat lui permettant de solliciter ce quantum. En appliquant strictement le barème de l’article L.1235-3 du Code du travail, le plafond applicable au salarié était de 3,5 mois.

Afin d’écarter l’application du barème, le Conseil de Prud’hommes de Troyes a procédé en plusieurs étapes.

Premièrement, les juges ont rappelé que les traités internationaux régulièrement ratifiés ont une autorité supérieure aux lois en application de l’article 55 de la Constitution et que le contrôle de conventionnalité appartient aux juridictions ordinaires sous le contrôle de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat.

A ce titre, les juges prud’hommaux rappellent que les dispositions supranationales (Convention 158 de l’OIT et Charte sociale européenne) sont d’applicabilité directe dans notre droit interne.

Pour mémoire, ces dispositions rappellent que les juges peuvent « ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou tout autre forme de réparation considérée comme appropriée ».

Deuxièmement, le Conseil de prud’hommes évoque la décision du Comité Européen des Droits Sociaux (organe en charge de de l’interprétation de la Charte Sociale européenne) ayant jugé que le plafonnement des indemnités de licenciement à 24 mois en Finlande était contraire à la Charte.

Il convient toutefois de préciser que la législation finlandaise est plus stricte en ce qui concerne les cas d’exclusion du barème. Ainsi, seul le licenciement discriminatoire permet d’échapper à l’application du barème finnois.

Les cas d’exclusion sont plus nombreux en ce qui concerne le barème français. Ainsi, l’encadrement des indemnités de rupture ne s’applique notamment pas en cas de nullité du licenciement tels que la violation d’une liberté fondamentale ou en cas de harcèlement moral.

Le Conseil de Prud’hommes de Troyes, ne reprend pas cette différence et énonce que « l’article L.1235-3 du Code du travail, en introduisant un plafonnement limitatif des indemnités prud’homales, ne permet pas aux juges d’apprécier les situations individuelles des salariés injustement licenciés dans leur globalité et de réparer de manière juste le préjudice qu’ils ont subi.

De plus ces barèmes ne permettent pas d’être dissuasifs pour les employeurs qui souhaiteraient licencier sans cause réelle et sérieuse un salarié. Ces barèmes sécurisent d’avantage les fautifs que les victimes et sont donc inéquitables ».

Pour le Conseil, il résulte donc de cette iniquité que le barème doit être écarté.

En conséquence de ce qui précède, la juridiction retrouve sa liberté pour fixer le quantum de l’indemnisation.

En l’espèce, les juges ont octroyé l’intégralité du quantum demandé par le salarié, à savoir 9 mois de salaire.

Pour ce faire, le Conseil a retenu l’existence de conditions délétères au moment de la rupture du contrat de travail.

En effet, le Conseil de Prud’hommes de Troyes se fonde sur de nombreux éléments de contexte afin de justifier ce quantum qui caractérisent in fine « la grande malhonnêteté de l’employeur ».

Le Conseil note que l’épouse du salarié travaillait également au sein de cette entreprise et a été simultanément licenciée. De ce fait, le couple se retrouve sans aucune ressource financière.

Par ailleurs, le Conseil a également noté que la Société avait précédemment failli à son obligation de versement des salaires en réglant par chèque sans provision.

Nul doute que les juges prud’hommaux ont tenu compte de ces éléments dans l’appréciation du contexte de la rupture pour fixer le quantum de la réparation du préjudice à l’intégralité de la somme sollicitée par le demandeur, et ce d’autant plus que le défendeur n’a pas comparu à l’audience.

Ainsi, commence à émerger des divergences d’interprétation des textes européens et internationaux en ce qui concerne l’application ou non de ce barème.

Outre l’aléa judiciaire propre à chaque affaire, apparait aussi un aléa géographique en fonction du lieu de saisine.

Prochainement, les décisions prud’homales vont remonter devant les différentes Cours d’appel, et il se peut que ces divergences persistent.

Nul doute que la Cour de cassation sera amenée à se prononcer sur cette question dans les mois à venir dans la mesure où la « finalité essentielle de cette Cour, est d’unifier la jurisprudence, de faire en sorte que l’interprétation des textes soit la même sur tout le territoire » (présentation de la Cour de cassation sur son site internet).

Toutefois, les décisions rendues par la Cour de cassation ne pourront s’extraire totalement des éléments de contexte des dossiers tels qu’analysés par les arrêts des Cours d’Appel qui lui sont soumis

Ainsi, la « grande malhonnêteté de l’employeur » pourrait être un élément visant à exclure l’application du barème qui ne se retrouvera pas dans l’ensemble des décisions à venir.

La malhonnêteté caractérisée de l’employeur pourrait alors rejoindre les différents cas d’exclusion de l’application du barème bien que n’étant pas envisagée dans les exceptions légales à l’inverse des cas de discrimination, de cas de violation d’une liberté fondamentale notamment.

A suivre attentivement donc…

le 21/12/2018

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