Tribune parue dans CAPITAL.
Après le quiet quitting, une nouvelle approche de la part des salariés semble se dessiner dans certaines entreprises : le loud quitting, tendance estivale dont le hashtag cumule plus de 1,4 million de vues sur TikTok. Cette tendance a d’ailleurs très largement été appliquée par les ministres en fonction et/ou souhaitant le rester lors du remaniement ministériel du 20 juillet dernier. Cette tendance fait émerger également la remise en cause du lien de subordination, élément essentiel de la définition du contrat de travail, entre le collaborateur et l’employeur.
Pour la Cour de cassation, le lien de subordination est traditionnellement "caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements" (cass. soc. 6 juillet 1931 ; arrêt Bardou). Cette notion centrale en adéquation avec l’exécution du travail, inventée au siècle dernier, peut désormais, et à bien des égards, paraître obsolète pour appréhender toute la variété des situations de travail actuelles. L’employeur doit faire face à cette transition sociale qui résulte des transformations du monde du travail et qui remet en cause son organisation interne. Enfin, à mesure que la technologie et les usages évoluent, se pose aussi la question de l’évolution du cadre de régulation.
Aujourd’hui, le salaire n’est plus le seul outil d’attractivité des salariés. Ces derniers sont de plus en plus regardants sur leur qualité de vie au travail, à un moment où ils sont en position de force sur le marché puisqu’ils savent que les opportunités d’emploi sont en leur faveur.
Pour rappel, le quiet quitting, ou démission silencieuse, consiste, comme son nom l’indique, à prévoir son départ au sein d’une entreprise tout en se désengageant doucement de son travail en faisant le strict minimum. Une telle démarche fonctionne si à terme le salarié démissionne en trouvant une nouvelle activité.
A contrario, certains salariés adoptent une nouvelle technique : le loud quitting, aussi appelé la démission bruyante, qui consiste simplement à exprimer son mécontentement et son insatisfaction au travail auprès de ses supérieurs hiérarchiques voire de ses collègues. L’idée ici est d’exprimer haut et fort que certaines conditions ne sont pas ou plus remplies pour être heureux et épanoui au travail afin d’être à 100% (management toxique, proposition d’engagement externe plus avantageuse…). Plus encore, cela revient à exprimer son intention de démissionner de façon claire et assumée au sein et à l’extérieur de l’entreprise. L’objectif : pousser son employeur à agir et à améliorer ses conditions de travail (hausse du salaire, du télétravail, des avantages…) sous peine de quitter l’entreprise.
Est-ce une forme de chantage de la part des salariés ? Cela peut y ressembler. Une chose est sûre, il est sans doute préférable d’être joueur et déterminé pour entreprendre une telle démarche, parfois même astucieux pour tirer avantage de quelques jurisprudences très protectrices (harcèlement, discrimination, alerte…). De tels comportement peuvent aussi inciter l’employeur à repenser certaines façons de faire, à savoir si l’entreprise est capable de faire certaines avancées pour conserver des talents et jusqu’à quel point est-il possible de faire des compromis ?
Que cela soit le quiet quitting ou le loud quitting, ces conduites peuvent aussi mettre en risque quelques salariés, surtout s’ils n’ont pas l’intention de partir. Tel serait le cas d’un loud quitting, dénué de protection et d’arguments sérieux, qui pourrait alors permettre à l’employeur d’acter la déloyauté et mauvaise foi du salarié. Le loud quitting n’autorise en effet pas tout et vise d’abord à la revendication de droits, en qualité de travailleur et dans le respect de chacune des parties.Quelles solutions s’offrent aux employeurs pour surfer sur ces tendances et les appréhender du mieux possible ? Bien évidemment, il est nécessaire, à défaut d’être dans l’échange permanent, de commencer par renouer le dialogue avec l’employé, ces situations n’étant souvent que le fruit de non-dits, sources de malentendus. Il est également possible de miser sur la montée en compétences des salariés, en dehors du traditionnel entretien annuel. La qualité de vie et des avantages peu présents sur le marché du travail, comme la semaine de quatre jours ou du télétravail au forfait, peut aussi être examinée. Enfin, et ce n’est pas le plus mince des enjeux, il y a lieu aussi de leur permettre de grandir avec l’entreprise et de répondre à leur soif de liberté.
A la différence du quiet firing, soit la mise au placard d’un salarié par ses supérieurs, comportement juridiquement répréhensible en vertu de l’article L.6321-1 du code du travail, le quiet quitting et le loud quitting, notions plus récentes, ne sont pas aujourd’hui directement visées par la loi ou la jurisprudence, sauf à leur appliquer les principes juridiques habituels que sont la bonne foi et la loyauté.
Nul doute qu’avec l’arrivée sur le marché de la génération Z et l’évolution de la perception du travail, le quiet et le loud quitting devraient donner lieu à des décisions judiciaires précises et éclairantes, illustrant ainsi la réalité de la transition sociale.