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Nouveaux rebondissements dans la (déjà) grande histoire des plateformes numériques

Le juge français serait-il en train d’infléchir sa jurisprudence en matière de plateformes numériques ?

Dans un premier temps, en 2018, un mouvement jurisprudentiel de la Cour de cassation (Cass. soc. 28 nov. 2018, n° 17-20.079) a semblé pencher en faveur de la requalification en contrat de travail de la relation unissant des plateformes en ligne à des travailleurs indépendants, et ce sur le fondement de l’article L. 8221-6 du Code du travail.

Deux décisions récentes laissent à penser que cette appréciation pourrait s’inverser.

Par un arrêt du 8 octobre 2020 (CA Paris, pôle 6 – ch. 7, 8 oct. 2020, n° 18/05471), la Cour d’Appel de Paris a ainsi débouté un livreur à domicile de sa demande de requalification en contrat de travail pour des prestations réalisées via la plateforme de mise en relation Tok Tok Tok.

Au soutien de sa demande, le livreur faisait pourtant valoir des arguments de poids à l’aune de la jurisprudence de 2018 de la Cour de cassation.

Tout d’abord, la clause d’exclusivité intégrée dans son contrat de prestation de service devait selon lui être analysée comme étant « incompatible avec un statut d’indépendant ».

Le contrat de prestation de service prévoyait également l’interdiction d’effectuer des prestations similaires auprès d’autres « employeurs » durant toute la durée du contrat et pendant deux ans après la fin de celui-ci, le tout assorti d’une pénalité de 100 000 euros.

En outre, le livreur faisait valoir le fait que la plateforme lui fournissait le matériel nécessaire à l’exécution de sa prestation et lui imposait le port d’une tenue sous peine de sanction.

Enfin, il était allégué que la plateforme choisissait les jours et les horaires de travail, le travailleur ne pouvant ainsi organiser sa journée librement.

Cela n’a pourtant pas suffit à emporter la conviction de la Cour d’Appel de Paris, qui retient que le livreur « ne rapporte pas la preuve qu’il exerçait ses fonctions dans le cadre d’un service organisé » et « ne justifie pas plus d’un pouvoir de contrôle de la société TTT sur son activité et de la faculté pour cette dernière de sanctionner ses agissements ».

Les éléments de preuve produits par le livreur ont donc été considérés comme insuffisants.

Quant à la clause d’exclusivité ou de non-concurrence, elle semble pouvoir être insérée dans un contrat de prestations de service sans que cela emporte automatiquement la requalification.

Pour la Cour d’Appel, comme pour le juge départiteur du Conseil de prud’hommes de Paris avant elle, la preuve de l’existence d’un contrat de travail n’était donc pas rapportée.

Le second arrêt qui s’inscrit dans cette analyse a été rendu par la Cour de Cassation dans des faits d’espèces bien différents.

En effet, il appartenait à la Cour de Cassation, saisie après référé, de trancher la question de savoir si l’activité de la plateforme Brigad, qui met en relation des travailleurs indépendants, causait un trouble manifestement illicite à des sociétés d’intérim et les exposait à un dommage imminent.

Les sociétés d’intérim critiquaient en effet le fonctionnement de la plateforme comme ayant pour finalité d’éluder les règles applicables en matière de travail temporaire.

Selon elles, les travailleurs indépendants utilisant la plateforme devaient voir requalifier les contrats et être qualifiés de salariés.

Là encore, le juge n’a pas suivi ce raisonnement puisque la Cour de cassation a conclu à « l’absence d’indices suffisants permettant avec l’évidence requise en référé de renverser la présomption de non-salariat prévue à l’article L. 8221-6 du Code du travail pour les travailleurs indépendants s’y inscrivant ».

Reste naturellement à savoir si la Cour de Cassation confirmera cette position lorsqu’elle sera amenée à trancher le fond de l’affaire…

Le débat autour du statut des travailleurs de plateformes ne se limite pas aux prétoires, comme le confirme le récent rapport remis au Premier Ministre par Monsieur Frouin, ancien président de la chambre sociale de la Cour de cassation.

Ce rapport préconise des aménagements spécifiques, notamment le recours au portage salarial ou à des coopératives d’emplois et d’activités pour les travailleurs les plus expérimentés, une représentation par le biais d’élections professionnelles au sein de chaque plateforme ainsi que la création d’une autorité de régulation, l’encadrement du temps de conduite et une rémunération minimale.

Si ce rapport n’apporte pas la sécurité revendiquée par beaucoup de plateformes, la volonté de l’ancien Haut Magistrat ne semble toutefois pas être de faire systématiquement prévaloir le statut de salarié sur celui de l’indépendant. En effet, le rapport postule en faveur d’un « statut commun des travailleurs », reposant sur la généralisation des comptes personnels et droits rechargeables, ainsi que sur le droit effectif au repos et le droit à la reconversion, reconnus à tous les travailleurs.

Ce rapport promet d’alimenter les échanges avec les partenaires sociaux ainsi que les débats parlementaires à venir, dont nous ne manquerons pas de vous tenir informés.

De l’autre côté de l’Atlantique, en Californie, les plateformes VTC ont récemment remporté une victoire : les électeurs californiens ont adopté à une écrasante majorité la « proposition 22 », permettant à Uber, Lyft et consorts de faire exception à la loi de l’État et de garder leurs conducteurs entrepreneurs indépendants.

Voilà de quoi nous laisser penser qu’en matière de plateformes numériques, l’histoire a déjà bien commencé et est loin d’être achevée. La présomption de non-salariat pourrait donc conduire à des mesures atypiques et adaptées à la condition que certaines règles fondamentales bénéficient à ces travailleurs indépendants.

le 29/12/2020

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