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Fait religieux dans l’entreprise : Vers une remise en cause de la possibilité d’instituer une obligation de neutralité ?

Libertés & Droits Humains

Le récent avis du Comité des droits de l’Homme de l’ONU, dénonçant la solution de la Cour de Cassation dans l’affaire Baby-Loup, pourrait-il faire infléchir la jurisprudence naissante en France relative à la possibilité d’instituer une obligation de neutralité ?

Le feuilleton judiciaire que fut l’affaire Baby-Loup avait abouti sur un arrêt de l’Assemblée Plénière de la Cour de Cassation en date du 25 juin 2014 (N°13-28.369).

Pour mémoire, l’affaire concernait une salariée d’une crèche qui, revenant d’un congé parental après plusieurs années d’absence, souhaitait porter un voile au sein de l’établissement, et ce malgré l’interdiction du port de signes religieux ostensibles dans le règlement intérieur.

Elle avait été licenciée pour faute grave.

L’Assemblée Plénière de la Cour de Cassation a conclu au bien-fondé du licenciement au motif notamment que la liberté de conscience des enfants en bas-âge prime sur celle des salariés d’une crèche.

Cette solution s’inscrivait dans le courant d’une jurisprudence encore très incertaine sur la possibilité de sanctionner le port d’un signe religieux.

Par la suite, l’article de 2 de la loi El Khomri, ainsi que la teneur de la décision de la Cour de Cassation en date du 22 novembre 2017, ont laissé entrevoir la possibilité pour un employeur de droit privé d’instituer une obligation de neutralité sous certaines conditions : (cf notre article sur le sujet : http://www.lagaranderie.fr/?p=1392)

A cet égard, la notion d’image de l’entreprise vis-à-vis de ses clients par exemple, semblait pouvoir, à l’avenir, permettre de restreindre la liberté des salariés de manifester leurs opinions religieuses.

Mais récemment le feuilleton de l’affaire Baby-Loup a offert un nouvel épisode avec l’avis, le 10 août 2018, du Comité des Droits de l’Homme de l’ONU, qui a été saisi par l’ancienne salariée de la crèche.

Ce comité a considéré que le règlement intérieur de la crèche et son application constituaient une restriction injustifiée portant atteinte à la liberté de religion de la salariée et que, par conséquent, son licenciement constituait une discrimination basée sur la religion.

Dans ses conclusions, ce comité a estimé que le licenciement ne reposait pas sur « un critère raisonnable ».

Il a par ailleurs indiqué que la France était « tenue » d’indemniser la plaignante « de manière adéquate et de prendre des mesures de satisfaction appropriées, incluant une compensation pour la perte d’emploi sans indemnité et le remboursement de tout coût légal ».

Il s’agit d’une remise en cause nette de la position prise par l’Assemblée Plénière de la Cour de Cassation.

Cette remise en cause est-elle susceptible d’influer sur le cours de la jurisprudence française ?

Il ne peut être interdit de le penser eu égard d’une part, à la publicité donnée à cet avis et d’autre part, à l’existence d’un débat sociétal, idéologique et politique particulièrement vivace sur les questions du fait religieux en entreprise (cf. notamment notre article http://www.lagaranderie.fr/?p=957).

Toutefois, la portée de cet avis ne doit pas être surestimée car il ne peut, en lui-même, venir remettre en cause les principes dernièrement dégagés par la Cour de Cassation.

En effet, d’une part il ne s’agit « que » d’un avis, le comité, qui n’est pas une juridiction.

D’autre part, il faut relever que cette position du Comité est peu surprenante puisque ce dernier semble défendre régulièrement une idée plus libérale de l’exercice de la liberté religieuse, idée qui l’avait d’ailleurs conduit à se montrer hostile à la loi du 15 mars 2004 encadrant le port de signes religieux dans les établissements scolaires publics français.

Enfin, et surtout, il ne faut pas perdre de vue que la CEDH et CJUE, qui, elles, sont des juridictions, laissent une certaine marge de manœuvre aux Etats membres.

C’est ce qui a pu amener la CEDH à « valider » la loi déjà évoquée du 15 mars 2004 et celle du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public.

Il est également bon de se remémorer que la CJUE, saisie par les juridictions suprêmes belge et française, a pu récemment considérer qu’un employeur pouvait instituer, par des règles et des procédures internes adaptées et indifférenciées, une restriction aux ports de signes religieux, politiques ou idéologiques (CJUE 14 mars 2017 C-157/15 et C-188/15).

Dès lors, si cet avis du Comité des Droits de l’Homme de l’ONU a trouvé une large place dans les médias, il ne peut, en tant que tel, aboutir à une remise en cause des récents édifices prétoriens en la matière.

Dans son discours d’installation des nouveaux magistrats, le 3 septembre dernier, le premier Président de la Cour de Cassation, Monsieur Bertrand Louvel, a néanmoins indiqué que cet avis constitue, de fait « un facteur nouveau de déstabilisation de la jurisprudence ».

La Garanderie Avocats ne manquera pas de suivre les évolutions à venir sur ces questions.

le 27/09/2018

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