Jan 2016
25
Actualité juridique, Contrat de travail
Les débats de Risques : Faut-il réformer le contrat de travail ?
Les débats de Risques : faut-il réformer le contrat de travail ?
(Texte publié dans la revue Risques n°105)
Risques a organisé le 24 novembre 2015 un débat sur le contrat de travail et ses possibles évolutions, au moment où la commission Badinter sur la réforme du droit du travail est mise en place. Étaient réunis pour évoquer ces enjeux : Dominique de La Garanderie, avocate, ancien bâtonnier spécialiste droit social, Marc Ferracci, professeur à l’Université Panthéon-Assas et membre du Crest, et Gilles Saint-Paul, économiste.
Le débat était animé par Jean-Hervé Lorenzi, directeur de la rédaction de Risques et Philippe Trainar, membre du Comité éditorial.
Risques : Quels sont les enjeux majeurs d’une réforme du contrat de travail, d’un point de vue juridique et économique ?
Dominique de La Garanderie : Si l’on parle des contrats, on oppose classiquement le contrat à durée indéterminée (CDI) et le contrat à durée déterminée (CDD). Les seconds sont très encadrés, puisqu’il y a des cas précis de recours aux contrats à durée déterminée et que les conditions dans lesquelles ils peuvent être renouvelés, indépendamment de certaines branches d’activité citées par les textes, sont évidemment règlementées.
Du côté du contrat à durée indéterminée, il semblerait que les parties soient plus libres. Ce contrat à durée indéterminée fait pourtant peur car on a le sentiment qu’il lie les parties dans des conditions plus contraignantes dans le temps que les contrats à durée déterminée en raison des modes de rupture et des indemnités à payer. C’est peut-être un leurre, dans la mesure où les contrats à durée indéterminée peuvent être rompus à tout moment, à la condition d’avoir un motif « légitime » de licenciement (je dis volontairement « légitime » pour ne pas entrer dans le détail des appréciations jurisprudentielles de la cause réelle et sérieuse). Le coût de la rupture, peut évidemment poser problème en raison de l’aléa judiciaire et/ou de la durée pour prendre des mesures économiques retardées du fait des procédures de licenciement. Pour sortir de cette opposition entre ces deux types de contrat, il me semble qu’une piste de réflexion pourrait être recherchée ; comment, quel que soit le contrat, déconnecter le contrat de ses effets. J’entends par effets : la couverture sociale, les accès aux biens et aux services, notamment l’accès au logement, à la santé, à la formation tout au long de la vie professionnelle, et enfin, le droit à la représentation. Si ces points peuvent être réglés, nous n’avons plus la même pression pour considérer que le contrat à durée déterminée est anxiogène et précaire. Cela recoupe les réflexions qui existent actuellement, me semble-t-il, sur un statut « d’actifs » ou sur la portabilité des droits, quelle que soit la situation de celui qui a eu un jour un emploi.
Gilles Saint-Paul : D’un point de vue économique, on constate, dans bien des pays d’une performance économique supérieure à la nôtre, comme les pays anglo-saxons, que le principe qui prévaut est la liberté des contrats. Les notions de prédétermination des contrats et des termes de ce contrat par la loi sont beaucoup plus faibles. La question à laquelle nous devrions répondre, est la suivante : quelles sont les justifications du système français, qui contraignent les parties en présence à choisir parmi un menu de contrats, en l’occurrence CDD et CDI ? Y-a-t-il des imperfections de marché qui imposent ces contrats ? Si ces imperfections de marché existent, est-ce vraiment ce type de règlementation qui est justifié, plutôt que d’autres types d’interventions ? Ces restrictions importantes à la liberté contractuelle sont-elles justifiées par des considérations paternalistes ? Les travailleurs ne seraient-ils pas assez adultes pour savoir combien d’heures ils doivent travailler, quelle indemnité ils veulent en cas de rupture de contrat, etc. Ou est-ce que ce sont des considérations que l’on pourrait qualifier de « cryptomarxistes » qui consistent à dire : d’un côté, une partie est dans une position dominante, l’employeur, et l’autre est dans une situation de dominé, le salarié ?
Il faut garder deux choses à l’esprit : d’une part, accroître le pouvoir de négociation du salarié profite au salarié en place, toutes choses égales par ailleurs, mais cela augmente le coût du travail. Cela augmente donc le chômage. L’analyse économique prédit que cela ne peut être souhaitable que dans des cas peu plausibles, à savoir lorsque l’on est dans une situation où le taux de chômage est trop faible par rapport à ce que l’on voudrait. Cela peut arriver théoriquement ; ce fut peut-être le cas en France dans les années 1960, ou en Espagne sous Franco, où le taux de chômage était nul, et les salaires extrêmement faibles, mais on a du mal à croire que ce soit pertinent dans le contexte actuel.
Un autre point me paraît important : ce n’est pas parce que l’on veut augmenter le pouvoir de négociation des travailleurs, que l’on doit imposer toutes sortes de restrictions dans le contrat de travail, comme c’est le cas en France. On peut envisager des méthodes plus simples, comme par exemple la négociation collective sur les salaires, tout en laissant les autres termes du contrat librement négociables entre les deux parties.
Marc Ferracci : Si nous devions faire un diagnostic de notre marché du travail, cela se résumerait en un mot : la segmentation. Cette notion entretient un lien étroit avec le contrat de travail. Deux chiffres sont révélateurs : 85 % des salariés sont aujourd’hui en CDI, en revanche 85 % des embauches se font en CDD, à peu de choses près. Ces chiffres sont en évolution depuis quelques années. La segmentation s’accroît, avec un peu plus de personnes en CDD dans le stock, et de plus en plus d’embauches en CDD, sur des contrats de plus en plus courts. Cela révèle que le chômage, auquel sont confrontés principalement les jeunes, les moins qualifiés, et les personnes issues de l’immigration, est un chômage de longue durée pour partie, mais surtout un chômage de récurrence. Ainsi la forme des contrats de travail, en particulier la possibilité pour les entreprises d’utiliser les contrats courts, et de recourir à l’intérim, génère de la récurrence au chômage et contribue à accroître les chiffres du chômage en termes de niveau. Il y a donc un lien entre la forme des contrats et ces flux, et cette récurrence au chômage. C’est un élément très important.
Pourquoi cette segmentation a-t-elle progressé ? On se rend compte que la protection des emplois stables, en France, s’est accrue, en particulier dans les années 1990, à la fois en conséquence de la loi, mais aussi en conséquence de la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation qui a souhaité – peut-être cela se justifiait-il à l’époque – rééquilibrer les droits des salariés, et concevoir de manière assez restrictive les motifs de licenciement. La conséquence en a été un phénomène de vases communicants, qui se poursuit encore aujourd’hui vers les contrats courts alors même que les conditions d’usage des contrats courts se sont assouplies, en particulier avec le développe- ment des CDD d’usage, qui concernent une partie beaucoup plus importante de la main d’œuvre qu’il y a quelques années. On a finalement l’idée que les règles de droit ont une influence sur le choix et les comportements des employeurs en matière de choix des contrats. C’est le premier élément : le droit engendre de la segmentation.
Pourquoi a-t-on ce phénomène de vases communicants ? Principalement parce que dans le cadre du CDI, il y a une grande imprévisibilité associée à la séparation; les coûts de licenciement sont aujourd’hui potentiellement très importants. Il faut rappeler que les règles font qu’en France les indemnités légales de licenciement sont relativement faibles, mais qu’en revanche, l’indemnité supra-légale, c’est-à-dire celle qui est payée en cas de défaut de cause réelle et sérieuse, peut être très importante. Aujourd’hui, même si la loi Macron a cherché à réformer cela, le juge décide d’un surcroît d’indemnité en cas de cause réelle et sérieuse qui est au minimum de six mois de salaire. Cela change complètement le coût payé par l’employeur. Ce ne sont pas les indemnités légales (payées par l’employeur) qui posent problème, c’est cette imprévisibilité, liée à une définition trop vague du motif de licenciement.
Par ailleurs, on est en train d’essayer de réformer la justice du travail, avec les tribunaux de prud’hommes, en les professionnalisant. Il faut savoir que 50 % des décisions prises par les cours d’appel sont cassées par la Chambre de cassation, contre à peu près 15 % dans la justice civile, et de 15 à 20 % dans la justice commerciale. Pourquoi des magistrats professionnels se trompent-ils si souvent en matière de justice du travail ? Parce que le droit, et en particulier la jurisprudence relative aux motifs de licenciement, est extrêmement complexe. C’est à cela qu’il faut s’attaquer, parce que l’imprévisibilité du droit, des jugements, et donc celle des coûts globaux de
licenciement, ont des effets sur l’emploi. Nous devons donc penser nos règles de droit en fonction de ces objectifs finaux que sont la création d’emplois, en particulier la création d’emplois pour ceux qui sont aujourd’hui précarisés par des formes d’emploi court.
Risques : La pensée occidentale, depuis environ quatre siècles, véhicule l’idée qu’il faut encadrer l’individu dans sa relation à l’autre, au sein de la société. Dans le contrat de travail – qui prend une forme, pour une petite partie imposée par la loi – quelle part jugez-vous incompressible ?
Gilles Saint-Paul : Si on en revient aux fondamentaux, je ne suis pas sûr qu’il y ait une partie incompressible autre que celle liée à l’abus de confiance.
Marc Ferracci : Sur la partie incompressible prévue par la loi, je suis d’accord avec ce qui a été intégré à la fois dans le rapport Badinter/Lyon-Caen et dans le rapport Combrexelle, c’est-à-dire l’idée que la protection des libertés publiques fondamentales doit toujours être assurée par la loi ou par les normes internationales, européennes en particulier, et que tout ce qui touche à la performance économique de l’entreprise et au bien-être des salariés, doit pou- voir être négocié de la manière la plus décentralisée possible.
Dominique de La Garanderie : Pour la protection, il est vrai que les juridictions raisonnent encore en termes de déséquilibre économique entre le salarié et l’employeur. On bute là sur un point difficile, quels que soient les textes. Le rapport Combrexelle déclare qu’il faut changer les mentalités des partenaires sociaux. Je suis réservée sur la possibilité d’aller très loin. Je reprends l’exemple de la rupture du contrat. Quelles que soient les conditions dans lesquelles on modifiera les motifs de la rupture, il appartiendra au juge de les définir selon ses critères (il y aura toujours à donner des motifs qui seront contrôlés par le juge). Je pense que c’est là le vrai problème car le plus redoutable pour les employeurs est l’imprévisibilité des indemnités.
Risques : Donc, même si on modifiait les conditions et la nature même de ce qui est considéré juridiquement comme un abus, aujourd’hui, le monde des juges se sent investi d’une mission qu’il est difficile de lui enlever ?
Dominique de La Garanderie : Le raisonnement pourrait être complètement différent, s’il y avait des droits portables, si la situation de rupture du contrat ne laissait pas quelqu’un complètement démuni, avec certes, des indemnités de chômage, mais au bout du compte, dix-huit mois ou vingt-quatre mois pour retrouver un emploi. Si on entre dans un système complètement différent de protection quoi qu’il arrive, le raisonnement changera. Cette attitude est aussi pour partie compassionnelle (1).
Gilles Saint-Paul : Il n’y a pas que du compassionnel. Depuis 1973, premier choc pétrolier, la loi a été réécrite avec des objectifs macroéconomiques. Au niveau de la règlementation du licenciement, l’objectif macroéconomique affiché est de minimiser le licenciement. On veut passer d’une entreprise qui maximise les profits à une entreprise qui maximise l’emploi, et qui va donc évoluer vers une entreprise qui utilise tous ses revenus pour payer les salariés, et qui ne fait plus de marge. Quand les juges disent : vous ne faites pas de pertes, donc je vous interdis de licencier (ce qui n’a aucun sens économique), ils vont dans ce sens. C’est quand même, depuis le début des années 1970, une perspective macroéconomique.
Dominique de La Garanderie : L’analyse économique faite par les juges telle que vous la dénoncez, est plus récente. Rappelons-nous, en 1975, les partenaires sociaux avaient décidé d’indemniser à raison de 95 % du brut, au titre du chômage, les salariés qui étaient licenciés, en cas de licenciement économique (avec une définition très large au regard de ce qui est considéré comme « motif économique » aujourd’hui). Là aussi, cela a beaucoup évolué.
Marc Ferracci : Tout d’abord, quel que soit l’objectif, social ou politique, l’emploi aujourd’hui est un sujet majeur dans notre société. Pour autant, la protection de l’emploi et le droit du contrat de travail n’ont pas qu’un effet sur l’emploi. Ils en ont aussi sur la productivité. Quand on durcit la protection de l’emploi, les gains de productivité sont moins rapides car la réallocation des emplois vers les entreprises et les secteurs les moins productifs est freinée.
Ensuite, je voudrais revenir sur la notion de cause réelle et sérieuse. Des travaux institutionnels ou empiriques, dont certains ont été menés par Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo par exemple, montrent que les juges en France ont une culture économique qui ne les incite ni à défendre les principes de l’économie de marché, ni à prendre en compte l’impact économique de leurs décisions, et pas seulement l’impact social. De ce point de vue, il est à craindre que même une modification de la loi, c’est-à-dire la suppression du sérieux du motif, ne se traduise pas directement dans des résultats positifs en termes de créations d’emplois et de productivité, précisément parce que les juges transformeront la jurisprudence sur la réalité de la cause en une jurisprudence toute aussi opaque et imprévisible que l’est la jurisprudence sur le sérieux de la cause aujourd’hui.
Risques : Si les syndicats étaient plus représentatifs, pensez-vous que nous pourrions mettre en place un dispositif plus efficace, notamment en matière de fluidité du marché du travail ?
Gilles Saint-Paul : Dans ce cas, ils représenteraient l’intérêt d’un salarié médian, qui, lui, est plus exposé au chômage que l’apparatchik que représentent les syndicats actuellement. C’est possible. Mais même avec un taux de syndicalisation plus élevé, le travailleur médian représenté par les syndicats resterait un salarié en CDI. Les travailleurs précaires ne seraient pas mieux représentés.
Marc Ferracci : Il faudrait élargir la base sociologique, pour modifier les objectifs des syndicats. Les chiffres de la Dares (2) sur la négociation collective en 2014 montrent que les négociations portent de manière écrasante sur les salaires. Les questions de conditions de travail, de formation professionnelle, les questions liées à tous les enjeux qui seraient de nature à sécuriser un peu les personnes précaires et à leur donner des perspectives d’insertion dans l’emploi ou de mobilité professionnelle, ces enjeux sont globalement délaissés dans la négociation de branche et d’entreprise. Les dispositifs d’emploi ou de formation professionnelle en place s’adressent à la fois à des chômeurs et à des gens en risque de perdre leur emploi mais ils ne sont pas efficaces parce que très institutionnalisés et très peu flexibles.
J’en termine avec un dernier exemple qui m’apparaît fondamental, l’assurance chômage. La récurrence au chômage s’explique aussi par les mécanismes de l’assurance chômage, qui incitent à multiplier les contrats courts à temps plein, plutôt que de faire des contrats longs à temps partiel, dans le cadre de l’activité réduite. Dans la mesure où les partenaires sociaux gèrent l’assurance chômage, il faut repenser leur représentativité, et surtout repenser leurs incitations à faire les bonnes réformes.
Gilles Saint-Paul : Si on augmente la représentativité sans toucher au niveau de négociation, il n’est pas prouvé que cela améliore les choses. On pourrait envisager par exemple que la pression à la hausse sur les salaires augmente.
Dominique de La Garanderie : Ce qui me frappe, à chaque fois qu’il y a un référendum dans une entre- prise, c’est l’écart du résultat avec les positions prises initialement par les représentants syndicaux. Il y a une vraie cassure. Une meilleure représentativité, qui impliquerait plus les salariés, éviterait cette fracture.
Marc Ferracci : Je vais me permettre de donner en avant-première les résultats d’un sondage commandé dans le cadre d’un rapport auquel j’ai participé, qui va sortir début janvier sur le dialogue social. On a demandé à des salariés ce qui caractérisait pour eux le dialogue social idéal. On leur a proposé quelques adjectifs : constructif, réformiste, revendicatif, conflictuel. À 90 %, les salariés répondent qu’ils souhaitent un dialogue social constructif. On pose ensuite une deuxième question : comment qualifieriez-vous le dialogue social dans votre entreprise ? Avec les mêmes adjectifs. À 30 %, on répond constructif. C’est ce que vous évoquiez à l’instant : il y a vraiment un écart entre les aspirations des salariés pour un dialogue social qui soit professionnel, fondé sur des services et des contreparties, réformiste, et la réalité de ce qu’ils vivent. C’est un sondage mais cela confirme d’autres éléments d’enquêtes internationales et comparatives.
Gilles Saint-Paul : Ce culte du dialogue social est exagéré. Quand la loi oblige à négocier, pour 90 % des sujets, on force les employeurs et les employés à jouer un jeu à somme nulle : il s’agit de transfert entre l’employeur et l’employé, ou d’obligations imposées à l’employeur, etc. On peut espérer que cela soit constructif, mais j’ai tendance à penser que la marge d’amélioration mutuellement bénéficiaire, va être exploitée rapidement et spontanément au niveau de l’entreprise, sans qu’il y ait besoin de légiférer sur la négociation. Si on adopte cette perspective, il n’est pas étonnant que le dialogue social soit perçu comme conflictuel et non comme constructif.
Risques : Si le jeu est à somme nulle, il est clair qu’aucune négociation ne peut aboutir. L’idée de la réforme est d’inverser la norme, c’est-à-dire de limiter le rôle de la loi. Admettons un instant qu’il y ait un dialogue social et que toute négociation se passe au niveau de l’entreprise, que reste-t-il du domaine de la loi ? Prenons l’exemple de la durée du temps de travail.
Gilles Saint-Paul : Il paraît difficile d’évacuer la durée du temps de travail du champ de la loi. Cela fait peur. Pour quelles raisons ? Est-ce le fait que les employeurs vont imposer à leurs employés de travailler 80 heures, auquel cas il faut que cela figure au contrat librement consenti entre les deux parties. Si de telles choses peuvent avoir lieu, c’est parce que nous sommes dans une situation de chômage de masse, où il est difficile pour quelqu’un de refuser un contrat parce qu’il ne peut pas être chauffeur Uber à la place, qu’il ne peut pas acheter une licence de taxi parce que cela coûte 200 000 euros… On légifère donc contre la situation prédominante de l’employeur sans s’interroger par ailleurs sur le rôle de la loi dans cette situation de chômage de masse que l’on a accumulé depuis trente ou quarante ans à coup de règlementation, aussi bien dans le marché du travail que dans le marché des biens, des professions règlementées, etc.
Dominique de La Garanderie : Il faudrait être au plus près du terrain, c’est-à-dire prendre en considération la volonté des parties dans le contrat, raisonner au niveau de l’accord d’entreprise, et ne plus avoir de lourdes contraintes des normes supérieures, parce que cela ne correspond pas à la réalité et au quotidien d’une entreprise qui a sa spécificité. Or le raisonnement que vous développez, qui est évidemment très légitime, sur le marché de l’emploi, nécessite d’avoir une vision macroéconomique large. S’il faut une législation qui évite évidemment les excès, en général, tout ce qui est supérieur, au niveau de la négociation, à l’accord d’entreprise doit fixer des bases sur des questions qui concernent la collectivité d’une branche d’activité et laisser le reste à l’accord d’entreprise. Exemple : maximum légal du temps de travail (an/mois/jour) à la loi et l’organisation du temps de travail et de sa répartition au niveau de l’entreprise.
Marc Ferracci : Le droit règlementaire et législatif a créé des dégâts. Il essaie de les corriger en créant des exemptions : les CDD d’usage, l’annualisation du temps de travail. Face à un problème macro- économique – le chômage de masse –, on pourrait utiliser des outils législatifs en décentralisant la production du droit, pour mieux tenir compte de l’hétérogénéité des situations, des individus et des entreprises. Les performances en termes d’emploi doivent être l’objectif final.
Gilles Saint-Paul : Il ne faut pas se leurrer. À court terme, ce n’est pas dans l’intérêt des insiders. L’insider qui travaille dans la branche, n’a pas envie que la négociation soit décentralisée au niveau de son entreprise, parce qu’à ce moment-là, elle est en concurrence avec des entreprises de la même branche, et les entreprises concurrentes vont avoir intérêt à être un peu en-deçà (en tous cas en ce qui concerne les salaires) de l’accord signé dans l’entreprise dont on parle. Ce n’est qu’à long terme, quand le marché du travail absorbe les outsiders, que l’investissement suit et repart, que la productivité est rétablie, que tout le monde y gagne. Mais sûrement pas sur le sentier de la transition. C’est cela l’enjeu politique de la décentralisation.
Marc Ferracci : Le principe de la négociation de branche crée effectivement des distorsions assez fortes au détriment des petites entreprises. Aujourd’hui, les négociations de branche sont menées par les représentants des grandes entreprises, parce qu’ils ont l’expertise et le temps pour cela. Or, les grandes entreprises sont des entreprises qui par nature ont construit des rentes et ont une capacité à les redistribuer sous forme de salaires. Quand vous imposez des augmentations salariales à toutes les entreprises de la branche, et notamment aux petites, cela élimine les concurrents. C’est ce que constatent les études menées par la Banque de France sur ces sujets.
Notes
- En contrepartie, formation et reprise d’activité devraient être mieux encadrées.
- Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques.